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Tout au long du trajet, j'avais vu les traits de Roano, passer de l'impassibilité à une colère retenue. Il ne cessait de presser sur l'accélérateur, probablement impatient de se retrouver dans sa forteresse. En quelques minutes, le véhicule s'immobilisa devant la grande bâtisse désormais éclairée à souhait. Roano vint m'ouvrir la portière avant de se saisir de mon bras comme le faisait Nicolas quelques instants plus tôt. J'étais encore perturbée par le déroulement des derniers évènements que je le laissai faire. D'un pas ferme, mais surtout pressé, il me traîna à sa suite dans la grande maison, jusqu'à son bureau. La porte refermée à notre suite, il me libéra en me poussant légèrement me faisant presque perdre l'équilibre. Cette fois, je ne me tus point.

- Non mais ça va pas?; commençai je en me massant le bras.

- Tu retrouves enfin l'usage de la parole ! J'ai pourtant cru que tu aimais bien ce style de traitement ; dit il en avançant vers moi les mains sur les hanches.

Il laissait désormais libre cours à la colère qu'il avait retenu sur le trajet. Je levai vers lui des yeux perplexes, ne comprenant pas sa réaction.

- Qui aimerait se faire brutaliser ?!; m'offusquai je.

- Laisse moi réfléchir... Toi à priori, puisque tu ne t'es pas gênée pour suivre cet idiot si docilement, en sachant ce qui t'attendait; répliqua-t-il désormais à quelques pas de moi.

- Il avait une arme pointée vers moi!; hurlai je de plus en plus perplexe par tous ses reproches.

- Oui, qu'il a rangé en haut des marches. Tu aurais très bien pu te tirer à ce moment ; continua-t-il, élevant la voix à son tour.

- Et courir le risque de prendre une balle dans le dos?

- Ça aurait été plus rapide, comparé à la torture qu'il te réservait. Mais que suis je bête, ça doit forcément t'exciter vu cette passivité dont tu fais...

Ma main attérit violemment sur sa joue, laissant quelques traces de mes doigts. Encore une fois il me rabaissait de la pire des manières, alors que tout ce que j'ai fait ce soir était dans le but de le protéger. Ma main enflammée me rappelait douloureusement que j'aurais mieux fait de le laisser crever ce soir. Il serra la mâchoire, en vissant ses mains à ses hanches. Le regard perçant qu'il me lança aurait dû m'effrayer, mais je ne ressentis rien, je ne devais plus flancher devant un homme, et j'étais bien décidée à commencer par Roano Alvaréz.

- Tu m'as peut-être secourue ce soir et je t'en suis reconnaissante. Mais à l'avenir, évite de me mépriser comme tu en as pris l'habitude. Tu n'as aucune idée de ce que j'ai vécu toutes ces années, alors tes sermons tu peux te les mettre où je pense; dis-je d'un ton ferme.

Sans perdre une minute de plus, je le dépassai pour me diriger vers la sortie de cette pièce où je me sentais oppressée. Près de celle-ci, je ressentis le besoin de mettre un point final à tout ceci. Si je voulais me faire respecter malgré ce que j'ai vécu -- et surtout par Roano -- je devais être indépendante, de toute façon ma présence l'insupportait plus qu'autre chose, raison pour laquelle il me traitait de la sorte.

- Au fait, ce sera la dernière fois que nous aurons cette conversation. Tu auras finalement ce que tu as longtemps souhaité, dès l'aube je vais quitter cette maison, nous libérant tous les deux de cette atmosphère toxique.

Il se retourna vivement à l'entente de mes mots, et sa traditionnelle impassibilité avait repris place dans son regard bleu. Il était d'avis avec moi, et m'indiqua de la tête la porte. Sans raison apparente, je sentis mon cœur se briser. C'était bien pire que de partir sans aucun mot comme il l'avait fait autrefois. Sentant les larmes me monter à nouveau, je me précipitai hors de son bureau, laissant la porte ouverte derrière moi.

En me réfugiant dans ce qui était ma chambre pour la dernière fois, je me terrai dans la salle de bain, pleurant à chaudes larmes. Ma vie était sens dessus dessous, je n'avais plus rien du tout, je n'étais rien tout simplement. Quel était mon but sur cette terre ? Passer de chagrin en chagrin ? Ce n'était pas cela une vie, j'allais de douleur en douleur, le seul moment où j'eus confiance en l'avenir avait été les mois de mon adolescence en compagnie de Roano. Depuis lors, plus rien. Une vie merdique. Il était peut-être temps d'arrêter de se voiler la face, jamais je ne verrai le bout du tunnel, rien ne me ferait sortir de cette vie embrumée de ténèbres, pas même Roano. Je devais définitivement tourner la page... Ou fermer le livre cruel qu'était ma vie.

Salvation BoardWhere stories live. Discover now