Elle

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Le lendemain soir, quand tout est fini, et qu'on a tout calé, je réécoute le son. Il est vraiment ouf, c'est incroyable, on a grave bien taffé. Et malgré tout mon regard est toujours attiré par les rushs de la recherche de topline, que j'ai pas eu le cœur de supprimer. Mais j'évite de cliquer dessus, j'évite de les regarder, j'y pense même pas.

Je m'occupe en retouchant vite fait des trucs, et ensuite je mets la télé. June et Nevada viennent tous les deux se poser contre moi et je suis trop content de les avoir près de moi.

Mais y'a quelque chose de bizarre, c'est comme s'il manquait quelque chose. Comme un vide.

Alors sur un coup de tête, je décide de sortir, d'aller prendre un verre dans un bar.

J'éteins les lumières, je mets un manteau et je ferme la porte à clé.

Évidemment, la bas tout le monde porte son masque, on danse pas, c'est pas aussi fun qu'avant. Mais l'ambiance est quand même cool, les lumières faibles , la musique à fond, la chaleur, les tables séparées d'un mètre. Quand j'arrive je demande un verre et je me pose seul, assis au bar.

Personne me remarque, et j'en suis plutôt content. Sauf une fille, dans un coin, elle est brune, avec deux autres filles, elle me regarde clairement. De là ou je suis, elle est belle. Et j'ai pas l'impression qu'elle me regarde par rapport à YouTube, j'ai l'impression qu'elle me regarde pour autre chose, quelque chose que j'ai pas fait depuis un moment.

Je réponds à ses œillades à travers la pièce, je lui souris malgré le masque. Elle finit par s'approcher de moi. Elle a des jolis yeux, et une voix douce.

-Salut, me lance t-elle. T'as l'air bien seul.

-Ce sera plus le cas si tu acceptes que je te paies un verre, je déclare.

Elle sourit, je ne le vois pas mais ses yeux se plissent et je le sais.

-Y'a pas de problème.

Elle s'assoit. On parle de tout et de rien, elle me demande ce que je fais dans la vie, je lui parle de YouTube vaguement, elle dit qu'elle suit pas du tout ça. Elle est drôle et sympa, c'est cool de parler avec elle.

Les heures et les verres défilent, les mains sont de plus en plus baladeuses, les phrases de plus en plus osées, et finalement on décide de rentrer ensemble. C'est pas prudent, pas avec la situation actuelle, mais aucun de nous deux ne veut y penser.

-Je me suis faite tester hier, avoue t-elle en me saisissant la main pour m'entraîner hors du bar. Et je l'ai déjà eu y'a longtemps.

-Et moi y'a pas longtemps je me suis fait tester. Donc ça devrait aller.

On y va. Elle fait un signe à ses amies, et toujours en tenant ma main, elle m'emmène vers chez elle. Une fois arrivés devant son immeuble, on rentre à l'intérieur.
On attend pas d'être dans l'appart pour commencer à s'embrasser. On savait tous les deux ce qu'on voulait, et c'est juste parfait. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, elle me lache le temps d'ouvrir sa porte.

J'ai pas trop le temps de regarder l'intérieur, elle m'embrasse a nouveau, j'y réponds sans hésiter, et elle me guide vers la chambre.

On tombe ensemble sur le lit, sans se séparer, et on continue de plus belle, nos baisers de plus en plus langoureux. Elle rigole légèrement, je fais de même. Elle me débarrasse de mon manteau, je la laisse faire, je souris contre ses lèvres.

Et la, elle glisse ses mains sous mon t-shirt. Tout d'un coup je me sens pas bien, je réalise le contact de sa peau sur la mienne, et non, je peux pas, j'en veux pas, j'ai juste envie de vomir, j'ai l'impression que j'arrive plus à respirer, mon cœur va s'arrêter, je peux pas. Je la repousse brutalement, j'essaie de reprendre mon souffle, mais rien n'y fait. Je m'assois sur le sol, je sens les larmes monter, je comprends plus rien, je réalise rien, je peux plus reprendre ma respiration, rien ne va, le souvenir de ses mains sur ma peau me revient, j'ai envie de vomir tout ce que j'ai mangé, je repense à ses lèvres et ça me dégoûte. Je peux pas respirer, j'y arrive pas. Je comprends pas. Je peux rien faire, j'arrive pas à respirer, je comprends pas, je veux pas. Mes mains s'agrippent à mon t-shirt comme au pull de Théo le jour où il était là pour Nevada. Je sais pas comment faire, je peux pas, je suffoque.

Je suis assis sur le sol, me débattant avec moi même, en train de pleurer sans raison et sans bruit, incapable de respirer.

-J'peux pas... Je suis... désolé... Je peux pas, j'halète, tentant tant bien que mal de me relever. Tellement... désolé...

Elle me regarde, et je distingue pas grand chose dans le noir, mais je saisis mon manteau, je cherche la porte, sans vraiment réussir à me lever. Enfin je l'atteins. J'entends qu'une seule phrase avant d'arriver à l'ouvrir et à sortir de la chambre.

-Faut que t'arrêtes de penser à elle, si tu fais ça pour oublier ça sert à rien, t'es qu'un con, va lui parler, je suis pas ton bouc émissaire ou ton bouche trou, c'est elle que tu veux.

Mais y'a pas de elle. En ouvrant la porte d'entrée et en descendant les escaliers quatre à quatre, en essayant de respirer, en arrivant dans la rue, en courant presque vers chez moi, en rentrant à l'intérieur et en me débarrassant de tous mes vêtements, en me frottant fort sous la douche comme pour me débarrasser de la sensation de ses mains, en me jetant dans mon lit,  je me répète cette même phrase. Y'a pas de elle. Y'a pas de elle.
Et pourtant la fille a raison. Mais y'a pas de elle. Et ça me fait peur.

Love is a victory march [joystu]Where stories live. Discover now