28- Poupée

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Ary

Il est des souvenirs impossibles à effacer, même avec l'excuse de la jeunesse. Grandir dans un cocon féminin a été un choix effectué par ma mère pour nous protéger de l'influence néfaste d'un homme, celui censé veiller sur nous. J'ai entendu tant de choses sur celui que je devrais appeler père mais ne me souviens pas de son visage, ni de sa voix. Pourtant cette aura ne m'a jamais quitté. Mes songes sont tâchés d'émotions malaisantes. La noirceur qu'il répandait autour de lui effrayait les adultes en costume qui l'accompagnaient. De mes yeux d'enfants, je ne voyais que de longs pantalons noirs auxquels étaient accrochés des armes qui brillaient selon les mouvements. Là où je recevais des sourires quand j'accompagnais ma mère faire ses courses, je n'inspirais que du dégoût ou de la gêne chez ses sbires, telle une fourmi sur la peau. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu en lui, un jour, de l'amour ou peut-être que ce passé si lointain est faussé. Toujours est-il que le jour où ma mère a décidé de nous écarter de cette vie néfaste, j'ai commencé à sourire. J'ai trouvé une routine et vie délicieusement ennuyante en compagnie de cette femme brisée et de ma soeur. Les gens ignorent trop souvent à quel point la banalité peut être apaisante.
Comme pour fuir la paranoïa de notre mère, nous nous amusions à évoquer les improbables dangers qui nous entoureraient si on l'écoutait. Le boucher qui pourrait sortir un couteau au moment de notre commande pour nous trancher la gorge ou notre enseignante qui nous poignarderait avec son stylo. Tout était prétexte à la méfiance, notamment avec les individus de sexe masculin.

Mais Soyeon et moi avons grandi. Ma soeur a trouvé un certain plaisir en bafouant les règles construites alors que je continuais à me fondre dans le décor. Je n'ai jamais eu l'âme d'une meneuse, de l'héroïne intrépide qui attirerait les foules. Je préfère vivre dans ma bulle, mais un jour, elle a éclaté. Ma soeur a disparu, me laissant sur les bras un chaos inattendu.

Alors ce malaise que je vis avec l'homme qui n'a pas pris la peine de concrétiser par des mots cette relation n'est qu'une goutte de plus dans la jarre de mes problèmes. Je me sens juste idiote d'y avoir cru mais évite de trop me plaindre car après tout, personne ne m'a forcée à me servir de lui comme lot de consolation. Minho venait tout juste de m'humilier que je pleurais déjà dans ses bras. Je suis d'un pathétique que l'envie de quitter les lieux devient presque un besoin.

Sans prévenir, je dépose mon verre et entreprend de partir d'ici en me faufilant entre les hommes, avec mes talons de dix centimètres quand une poigne ferme m'en empêche en me retenant sur la terrasse.

— Oula, poupée, pas si vite. Où est ce que tu cours comme ça?

Je suis tout d'abord étonnée de voir Minho dans cette demeure puis me rappelle la façon dont il m'a rejetée et retire son contact sur mon poignet. Même s'il n'y a pas mis tant de force que ça, je joue les offusquées en frottant la zone impactée.

— Je ne crois pas que ce soit tes affaires, maintenant excuse-moi, je ne veux pas risquer de te monopoliser ton attention ou de t'empêcher d'accéder à une fille facile.

Là où je pensais trouver de la peine ou de la colère, Minho m'envoie un regard attendrissant, à la limite de l'amusement, ce qui ne fait que m'agacer.

— Je peux savoir ce qu'il y a de drôle?

— On dirait un chaton qui ébouriffe ses poils. C'est mignon.

Mon honneur et mon égo sont littéralement bafoués. Sachant que je ne trouverai rien de mieux à lui renvoyer, je pivote pour oublier son existence et m'en vais mais cette sangsue en décide autrement et m'oblige à me rapprocher de lui, quitte à ce que mon équilibre vacille sur mes stilettos. J'essaie de défaire ses doigts accrochés à ma peau mais aucun ne veut bien se décoller.

— Ça ne sert à rien de t'en aller. Seungmin est à ta trace et il te ramènera par les cheveux, s'il le faut.

— Je te demande pardon? Tu peux répéter? Je suis invitée ici, pas une vulgaire otage qui attend son possesseur.

— Chan a d'autres projets pour toi donc va falloir t'y faire.

Qu'il sache ce qui se passe entre son patron et moi me met mal à l'aise, mais qu'il en parle avec autant de légèreté achève les battements de mon coeur. Je déglutis bruyamment et ne prends pas la peine de cacher les larmes qui commencent à flouter ma vision. Ce que vous avons vécu n'était que du vent et il est toujours difficile pour moi de l'admettre.

— Ça ne te fait donc rien que je me sois rapprochée de lui...

— Il te voulait, il t'a eue. C'est comme ça. Je ne t'en veux même pas d'avoir cédé aussi rapidement.

Son jugement me donne un coup d'adrénaline assez suffisant pour lui remettre les pendules à l'heure. Cette victime de dernière minute semble oublier le début de l'histoire.

— Rapidement ? Tu n'es pas gêné de me sortir ça alors que je n'ai jamais compté pour toi. Je n'étais qu'une paire de jambes qui s'est ouverte facilement, rappelle-toi.

— Et dont j'aurais dû profiter beaucoup plus avant que cela ne devienne impossible.

Le culot n'a plus de limite. Cet agaçant baiseur de cave vient de déclarer ouvertement ses pensées les plus dégoûtantes à mon égard, sans sourciller. Avec mes petits ongles qui feraient éclater de rire un verni, je plante mes armes féminines dans sa peau pour lui faire regretter ses paroles. Mais Minho ne cesse de s'amuser de la situation, ce qui me rend folle de rage. J'en oublie alors mes bonnes manières et le gifle de toutes mes forces, pour mon évacuer la douleur passée.

— Ça, c'est pour t'être envoyé une pute alors que je te cherchais partout car tu me manquais.

Cet imprudent se redresse sans montrer l'envie de répliquer. Je ne me gêne donc pas à user de mon autre main, fraîchement libérée pour rougir son autre joue.

— Ça, c'est pour ne pas avoir appelé un taxi alors que j'étais sans véhicule au milieu d'hommes armés craignos.

Je me fais le plaisir de défouler encore une fois ma paume avec les doigts ouverts pour augmenter la pigmentation de sa peau à droite.

— Ça, c'est pour m'avoir traitée de fille facile.

— Avais-tu des sentiments pour moi, poupée ? Car cette histoire a l'air de te toucher, même des semaines après.

Sa question me laisse au dépourvu. Je n'avais pas prévu qu'il reprenne vie dans mon scénario de vengeance. Je gonfle donc la poitrine pour lui montrer toute mon assurance en lui avouant la vérité.

— Oui. Je tenais à toi.

— Alors comment expliques-tu que tu te sois si facilement laissée bercer par les belles paroles de mon cousin alors que j'avais fait exactement la même chose et que je t'avais mis en garde?

Mon corps encaisse l'impact verbal d'un pas en arrière mais je me rends compte que je suis à nouveau maintenue. Ses doigts s'accrochent aux miens, avec un tendresse indéniable. Je suis aussitôt intimidée et remercie que la nuit cache cet échange inattendu.

— Qu'est ce que ça peut bien te faire de toute façon? Je n'ai jamais compté pour toi. Tu me l'as dit.

C'est à ce moment qu'il rompt le contact, relâchant avec douleur cette main qui se sentait bien dans la sienne.

— Si je l'ai dit, alors, c'est que c'était vrai.

D'un coup de tête, je le vois signaler notre présence à Seungmin qui se rapproche, rouge de colère. Quelque chose me dit que je n'ai pas gagné des points d'amitié avec ce garde du corps qui ne m'apprécie déjà pas beaucoup.

— Je la cherche depuis DIX minutes, peste-t-il.

— Mademoiselle Kim voulait juste prendre l'air et faire un peu de sport. Maintenant, je crois qu'elle est impatiente de retrouver Monsieur Bang. N'est ce pas?

Même si je me doute qu'il me sauve la mise, je peux sentir le reproche lié à ma relation avec son cousin. Mon esprit est encore embrouillé par ce dernier affrontement. Je décide de faire les comptes un peu plus tard et de suivre ses recommandations en suivant Seungmin à l'intérieur.

***
J'ose poser la question à ce stade de l'histoire. Minho ou Chan?

LilouMeow

Big Bad Wolf : Trust no one (Tome 1)Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang