Big Bad Wolf : Trust no one (Tome 1)

39- Idiote

Ary

Il est difficile pour moi de canaliser cette excitation pour faire en sorte que la prudence prime. Les photos affichées dans ma chambre d'enfance m'ont fait perdre le fil de mes pensées, laissant Chan seul avec ma mère alors qu'ils ne se connaissent pas. J'ai de la chance que la rencontre se soit bien passée car ma génitrice n'est pas du genre avenant après ses années de paranoïa et je peux me vanter d'avoir un petit ami très protecteur mais aussi légèrement dominant sur les bords. 

Le temps me manque pour élaborer un mensonge crédible et je fuis à la première occasion cette maison pour me rendre à la petite épicerie de quartier. Un coup d'oeil sur mon téléphone et je grimace à l'affiche des chiffres de l'horloge. Je dois donc redoubler de rapidité. La clochette annonce mon entrée et le plus jeune fils Jeon m'accueille avec le même sourire qui remplit mon coeur depuis deux ans.

— Ary! Quel plaisir de te voir. En visite chez ta mère pour le week-end? Me questionne Jungkook. 

— C'est bien ça, et devine ce qui me manque? 

— Les sucettes acidulées? 

J'acquiesce le sourire aux lèvres en me rendant près du comptoir. Les trois personnes qui patientent pour régler s'étonnent de mon aisance mais n'interviennent pas quand je passe la barrière pour prendre place derrière l'ordinateur de la boutique. Je lance le site de ventes en ligne pour un réseau de particuliers puis clique sur le profil de G-Lollipop et compose mon panier. Deux sucettes à la pêche qui correspondent à l'indication que tout va bien à la maison, une à la fraise pour rappeler qu'elle me manque et je me charge d'enregistrer mon mode de paiement avant d'attendre pour valider. 

— Tu sais que je peux toujours te montrer comment télécharger 11street sur ton téléphone. 

— Merci Jungkook mais ça a une autre saveur de le faire ici. 

Notre discussion vient de me déconcentrer et c'est sur les dernières secondes de la vingtième minute d'onze heures que je valide l'achat. Soyeon pourra donc se rassurer en ayant de mes nouvelles à travers ce code que nous avons instauré. L'adresse de livraison et l'IP lui permettent de s'assurer que l'achat a bien été effectué dans cette boutique. Puis le code de saveurs des sucettes donnent des informations sur les problèmes d'ordre médicaux, financiers, émotionnels ou potentiellement mortels. Après l'approche à deux reprises des sbires de mon père, je ne pouvais plus garder le silence. 

J'ai bien cru paniquer lorsque j'ai vu ces deux colosses entrer dans le cabinet, sous couvert de leur uniforme et insigne de policier. Même si le plus grand mafieux de Séoul est tombé, il n'en garde pas moins une influence terrifiante sur de nombreuses institutions. Ils veulent que je les suive, la demande est claire mais je ne suis pas de nature à faire ce qu'on m'ordonne. Je regrette qu'il me faille attendre vingt-quatre heures avant d'avoir des nouvelles de ma soeur pour en apprendre plus sur sa situation. 

— On se retrouve demain à la même heure pour la livraison? Me questionne le gentil caissier. 

— Sans faute. 

Depuis le temps que ce manège se joue, je me doute que Jungkook se pose quelques questions mais il est toujours resté très professionnel et n'essaie jamais de creuser le sujet. C'est à travers ce stratagème que Soyeon réussit à rester en sécurité, bien que le temps complique les choses. A ma sortie, je perçois la silhouette de Seungmin dans l'ombre d'une façade, ce qui me fait réaliser qu'il n'est pas aussi parfait qu'il le prétend. Chan se pose donc des questions sur ma sortie et je suis lasse de lui mentir. 

Avec la complicité que nous avons développé, je finis par croire qu'il pourrait être une porte de sortie. Cet homme tient à moi et agira donc en ce sens pour protéger les gens que j'aime. Preuve en est avec ma mère qui a de suite gagné son affection. 
Je ne fais donc aucun effort pour mentir lorsque je rentre au domicile et précise que je reviens de la boutique Jeon. Ma mère est assise à table, devant les plats préparés et m'observe comme si je pouvais apporter le remède miracle à l'affrontement des deux nations coréennes par ma simple parole. 

— Tu avais envie de te détendre les jambes? Me demande Chan. 

— Non, je suis partie commander des sucreries. C'est mon petit pêché mignon à Suwon. 

— Tu aurais dû me donner la référence et j'y serais allé pour toi. 

— Tu en fais déjà beaucoup, Chan. Allez, mangeons pendant que c'est chaud. Merci maman d'avoir préparé ce festin. 

La nappe ne dévoile que quelques couleurs tant les plats s'accumulent. Je ne pense pas avoir déjà vécu un moment aussi plaisant gustativement, et Chan est de mon avis puisque je l'entends gémir de satisfaction à chaque bouchée. Nous passons probablement près de deux heures à déjeuner, en ne faisant qu'une conversation de couple puisque ma mère a décidé de se murer dans le silence. 
En pleine digestion dans le canapé, le seul moment où je la vois réagir est quand il s'éclipse pour se soulager à l'étage. 

— Arya! Dit-elle en s'agitant malgré une voix faiblarde. Il faut que tu t'en ailles tout de suite. Tu ne dois pas rester avec cet homme. Il est comme ton père, Arya. C'est un mafieux. 

Son soudain éclair de lucidité est décevant pour moi car j'appréciais le jeu de l'innocence et la vie normale qu'on aurait pu m'inventer vu de l'extérieur. 

— Je suis au courant, maman. Chan est un homme bon. Il me protège. 

— Non, Arya. Tu ne sais pas de quoi il est capable. Je peux te donner de l'argent et lui mettre des somnifères dans son verre. J'ai compté quatre hommes autour de la maison mais je dois pouvoir t'aider à t'enfuir. 

— Maman, tout ira bien. Oublie cette idée, lui dis-je en croisant nos mains pour la rassurer mais je ne vois dans son regard que la fatalité. 

— Alors tu mourras, idiote, me lâche-t-elle avant de reprendre un air léthargique, enfoncée dans son fauteuil. 

C'est devant ce semblant de spectacle silencieux et résigné que mon petit ami refait son retour, m'accordant de nombreux baisers sur la joue pour me signifier son engouement de se trouver ici. J'ai beau me faire confiance, je n'entends que ses quatre mots qui ébranlent mon assurance.