VENDREDI 2 / 7 HEURES 10

1.2K 194 38
                                    

À son réveil, Louis trouva la place à ses côtés vide. Ils avaient dormi dans la chambre d'amis, car elle possédait le lit double que les parents de Louis lui avaient toujours refusé. Son père disait : « Si tu as un mauvais lit, tu te casseras plus vite de la maison. » C'était une phrase emplie de faux semblants, il n'en pensait pas un mot. Parfois, quand Louis appelait sa mère, il entendait son père, en arrière-plan, s'enquérir avec innocence : « Quand est-ce qu'il rentre, le fils ? »

Vide, donc, le lit. Pas de Ninon.

Ses paupières lourdes le tiraillaient, il se frotta longuement les yeux pour soulager les picotements. Ils s'étaient endormis tard, à discuter sur l'oreiller. C'était toujours ainsi avec Ninon, ils parlaient, et parlaient, s'endormaient à 4 heures du matin et s'étonnaient d'être fatigués le lendemain. Louis attrapa son téléphone, la lumière bleue l'agressa. 7 heures ? C'était pas une heure, ça ! Il enfila un sweatshirt, la capuche comme un cocon protégeant ses oreilles, et se traîna jusqu'au séjour.

Le jour se levait à peine, par les baies, le ciel s'éclairait d'un bleu froid et l'aube dessinaient les ombres des arbres à la bordure du terrain. Des chuchotements accompagnèrent son entrée. Il trouva Ninon et sa mère, attablées à l'îlot, sous la lumière orange du lustre. Sa mère beurrait une tartine, Ninon sirotait un café. Les deux se tournèrent vers un Louis encore endormi. Ses claquettes raclèrent le sol en même temps qu'il se traîna jusqu'aux filles.

― Qu'est-ce que vous faîtes debout ? marmonna-t-il en se frottant les yeux.

― On vient de rentrer avec ton père, murmura sa mère. Je mange un bout avant d'aller me coucher, et Ninon n'arrivait pas à dormir.

Comme pour confirmer les dires de sa mère, Ninon sourit à Louis. Ce tableau lui parut étrange, il n'aurait pas pu mettre le doigt sur ce qui le dérangeait. Louis se servit un café, ses pensées étaient flous tant qu'il n'avait pas eu sa première gorgée. Il posa une fesse sur un tabouret, merde, il avait vraiment la tête dans le cul. 7 heures du mat, quoi !

― Vous parliez de quoi ? demanda-t-il.

Il pensa qu'elles parlaient de lui. De quel autre sujet auraient-elles pu discuter ? Sa mère dit avec mystère.

― De trucs.

― Quels trucs ?

― De trucs, Loulou. On doit pas pas te faire de rapports, quand même.

Sa maman lui tendit la tartine beurrée. Louis l'accepta et la ferma. A la réflexion, c'était à coups sûrs une technique pour qu'il arrête de poser des questions. Sur le coup, il était trop ensommeillé pour le réaliser. Louis mangea la tartine, le beurre était doux, dégueu.

Le silence s'éternisa dans les bruits de mastications. Les filles ne disaient plus rien, il était presque sûr d'avoir interrompu leur conversation. Elles devaient parler de lui.

Sa mère termina son café d'une traite et posa la tasse dans l'évier. Machinalement, elle passa un coup d'éponge sur le plan de travail, là où des miettes restaient. Louis attrapa le regard de Ninon, une saleté résistait sur le bord de l'îlot, sa mère l'avait loupée. Le pied de Ninon s'agita.

― Allez les enfants, bonne nuit.

Elle aimait dire « bonne nuit » quand elle se couchait le matin. Sa mère les laissa, sitôt qu'elle fut partie, Ninon se leva, reprit l'éponge et ramassa la miette. Louis, la tête reposant sur une main, l'observa avec calme. Ses troubles obsessionnels s'étaient arrangés ces derniers mois, ou dans tous les cas, il les voyait moins. Certains réflexes persistaient. Et dire qu'ils avaient resurgi avec la pandémie... Si ce n'était pas arrivé, Ninon vivrait sereinement. Il en était malade.

L'écumeWhere stories live. Discover now