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TOME 3

L'écume.

PARTIE UNE

MARS-AVRIL 2021



― Qu'est-ce qui vous amène ?

Face à son interlocuteur en combinaison intégrable, Ninon était nerveuse. Étrange comme couvrir quelqu'un de plastique le déshumanisait. Elle avait fait depuis longtemps le deuil de deviner les sourires derrière les masques et les tics qui tordaient les lèvres. Pour interagir avec les inconnus, elle comptait à présent sur les ridules au coin des yeux et les pliures inquiètes des fronts. Avec des lunettes de protection et une capuche enserrant le visage, impossible.

Ninon agrippa les rebords de la chaise, avant de se rappeler qu'elle ne devrait peut-être pas.

― Je suis cas contact.

― À quand remonte le dernier contact ?

― Sept jours.

Elle connaissait les réponses par cœur à force de les répéter à chaque acteur de la chaîne.

― Des symptômes ?

― Non.

― Est-ce que vous avez déjà fait un test ?

― Non.

Après avoir compilé toutes ses informations sur sa fiche de patient, le laborantin a attrapé son kit. Avec la lassitude de quelqu'un qui fait ça à longueur de journée, il lui a donné la procédure. Baissez votre masque sous le nez, ne bougez pas, c'est désagréable mais ça ne fait pas mal. Ninon prit une inspiration pour se donner du courage, elle était une grande fille, ce ne pouvait pas être si terrible que ce que tout le monde racontait.

Le bâton menaçant s'approcha de son nez, rentra par la narine droite et fouilla dans les tréfonds de ses sinus les précieux prélèvements. Ninon eut l'impression qu'on lui titillait le cerveau. Son œil droit tressauta, une larme perla au coin. Les dix secondes en parurent trente. Quand le laborantin retira la tige de son nez, la sensation resta au fond de sa narine.

Le prélèvement dans un flacon, Ninon fut congédiée avec courtoisie. Aussitôt sortie du box, elle entendit le pshit du désinfectant pulvérisé sur sa chaise, juste avant qu'on appelle le suivant. Sa carte vitale encore en main, elle ressortit. Dans l'entrée du laboratoire, contenus par des sangles, des gens faisaient la queue pour, comme elle, dix secondes de torture.

En sortant, le soleil d'avril lui parut plus brillant que vingt minutes plus tôt. Son nez gardait le souvenir du test.


Le printemps invitait chez Ninon la renaissance de ses plantes d'intérieur. L'hiver, la couleur des feuilles perdaient de son aplomb mais dès que la chaleur et les rayons du soleil revenaient, ses plantes arrêtaient de bouder. Ninon les bichonnait, les aspergeant d'eau fraîche et essuyant la poussière qui s'y déposait. Elle n'avait rien de mieux à faire, désormais qu'elle était au chômage.

Son job à la mairie s'était terminé en février, depuis elle passait par la case Pôle Emploi qui lui proposait des postes alimentaires et entretiens qui n'aboutissaient pas. « Votre profil est intéressant, mais on ne peut pas faire de promesse d'embauche pour le moment, vous n'êtes pas sans savoir à quel point la culture souffre de la crise. » Résultat, Ninon ne faisait rien de ses journées mis à part lire des articles angoissants et regarder de la télé-réalité pour décompresser de cette lecture. Et ses plantes, bien sûr.

L'écumeWhere stories live. Discover now