Sashimi Yakisoba pour les intimes

1|Sashimi Yakisoba !

Moi, c'est Shiyomi Yoshida. J'aime travailler dans le calme. J'ai toujours été la première de ma promo aux examens, et j'entends bien le rester jusqu'à mon entrée à l'université. Pour ça, je travaille dur tous les jours. A part quand j'ai club, je préfère rentrer directement chez moi à la fin des cours pour étudier convenablement. Je peux y passer des heures sans problème. J'en oublierai même de manger si ma mère n'était pas là pour m'appeler à table.

J'ai horreur de l'échec, je tiens ça de mon père. Voilà pourquoi je vise toujours la meilleure note.

J'aime quand tout est bien rangé, quand ma vie est ordonnée. J'aime arriver en avance, que mes cahiers soient bien à leur place dans mon sac et que le silence règne dans la classe à l'arrivée du professeur. Je n'ai sans doute pas l'air aimable, mais je me fiche de ce que les autres peuvent penser de moi. J'ai conscience que ma sévérité en repousse plus d'un. Malgré tout, je ne suis pas seule pour autant. J'ai deux amis qui comptent beaucoup pour moi.

Il y a Maki Zenin, une fille qui se donne à fond dans tout ce qu'elle entreprend, et qui se hisse toujours dans le top dix de la promo lors des examens. J'admire son travail acharné et sa volonté de fer. Maki ne recule devant rien ni personne. Nous nous sommes tout de suite bien entendues.

La deuxième personne qui partage mes heures de déjeuner est, contre toute attente, beaucoup moins rigide et austère que Maki ou moi-même. Il s'agit de Panda. Ce n'est pas son vrai nom, bien sûr, mais c'est comme ça que tout le monde le surnomme au lycée en raison du bonnet panda qu'il porte sur la tête. Apparemment, il le porterait depuis le collège, ce surnom lui colle donc à la peau depuis des années. Pas facile de s'en défaire.

Panda est sympathique, drôle et chaleureux. Même s'il n'est pas aussi à cheval sur les règles de bonne conduite que moi ou Maki, je l'apprécie néanmoins. Sa présence est rafraîchissante. Et puis, lui aussi travaille dur lors des périodes d'examens. Même si ses notes sont moyennes, j'ai remarqué tous les efforts qu'il fournit pour se maintenir au même niveau que les autres. On a déjà organisé des sessions de révision à trois pour nous aider mutuellement, et même si je révise mieux seule, j'avoue avoir pris beaucoup de bon temps avec eux.

Tout ça pour dire que j'aime ma petite vie bien rangée. J'aime cette routine qui se répète tous les jours, toutes les semaines. J'aime me réveiller au son de mon réveil à la même heure, j'aime arriver en cours alors que personne n'est encore dans la salle, j'aime me laisser bercer par les leçons de mon professeur en attendant le déjeuner, et j'aime cette fin de journée où je dis au revoir à Maki et Panda pour rentrer étudier chez moi.

Il n'y a pas d'ombre au tableau dans ce quotidien calme et apaisant. Mais ça, c'était avant ma rentrée en deuxième année, avant que je me retrouve à côté de Toge Inumaki, un élève atypique qui ne rentre définitivement pas dans les cases.

Personne n'ignore qui est Toge Inumaki, et ce n'est pas parce qu'il est populaire dans le bon sens du terme. Toge Inumaki a toujours été qualifié de bizarre, étrange et lunaire. Il a la particularité de ne s'exprimer qu'avec des mots en lien avec la nourriture. Impossible d'entretenir une conversation avec lui. Peu importe ce que vous pourrez lui dire, il vous répondra « œuf de saumon » ou « thon mayonnaise ».

« Ce n'est que mon voisin de classe, je ne suis pas obligée de lui adresser la parole », c'est ce que je me suis dit, de prime abord. « Il n'y a pas de raison pour qu'il me dérange pendant les cours ». « Les autres ont beau dire qu'il est bizarre, il a l'air calme et gentil ». Et c'est vrai, à force de le côtoyer au quotidien, je me suis rendue compte que Toge est très doux et attentionné. Le problème, c'est que je n'ai pas seulement découvert ses qualités. Et ce sont bien ses défauts qui me posent problème.

En effet, si Toge Inumaki est incapable d'entretenir une conversation normale, il semble tout aussi incapable de suivre un cours sérieusement. Il a toujours l'air de s'ennuyer, et je le soupçonne d'essayer de me perturber dans mon travail pour se distraire.

- Psst, Sashimi !

Je ne relève pas la tête de mon cahier, je sais très bien que c'est Toge Inumaki qui cherche encore à me déconcentrer. Par ailleurs, mon prénom n'échappe pas non plus à la règle de « je n'utilise que le vocabulaire de la nourriture pour m'exprimer ». J'ai bien essayé de lui faire comprendre que je m'appelle Shiyomi Yoshida, il persiste à m'interpeller « Sashimi Yakisoba ».

- Sashimi Yakisoba !

Je frissonne derrière mon cahier et finit par relever la tête. Mais je ne le fais pas par gaieté de coeur, loin de là. C'est juste qu'il a haussé le ton si fort que je me demande si toute la classe ne l'a pas entendu, y compris le professeur. Et même si je n'apprécie pas beaucoup son attitude, je m'en voudrais qu'il se fasse réprimander parce que je n'ai pas daigné répondre à son appel. Je sais qu'à cause de sa différence, il se fait souvent brimer par les autres élèves. Je ne voudrais pas en rajouter une couche.

- Quoi ? finis-je pas souffler le plus bas possible.

L'air fier de lui, il lève son cahier dans ma direction pour me montrer ce qu'il y a dessiné. Il s'agit d'un poulpe saucisse, avec des yeux et une bouche comme dans les mangas. Je ne suis pas une férue de manga, je préfère lire un bon roman généralement. Néanmoins, il m'est arrivé d'en lire lorsque j'étais au collège, et les yeux ressemblaient à ça. Cela dit, il m'arrive encore de dévorer certaines séries de seinen, mais là n'est pas le sujet.

- Travaille à la place de dessiner n'importe quoi !

Ça, je l'ai peut-être chuchoté un peu fort. Le professeur se tourne dans ma direction, je m'empresse de me cacher derrière mon cahier. Je fusille mon voisin du regard, je le vois glousser derrière le col de son uniforme.

Toge Inumaki, ou comment mon quotidien paisible et harmonieux a été chamboulé par l'arrivée tempétueuse d'un garçon incapable de s'exprimer sans utiliser les mots « œuf de saumon » ou « thon mayonnaise » et qui semble pour une obscure raison déterminé à m'empêcher d'étudier correctement.