3 | Ce monde aussi sombre que silencieux

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Suis-je encore quelque chose lorsque j'ai l'impression que je ne pèse rien ? Est-ce que j'existe toujours quand plus personne ne me voit ? À l'instant où j'ouvrirai à nouveau les paupières, qu'y aura-t-il de différent cette fois ?

Mon corps est entièrement immergé dans l'eau de l'étang situé près du château et dans ce monde aussi sombre que silencieux, une partie de ma colère semble se dissoudre comme elle le fait avec constance dès que je baigne dans cet élément. C'est de cette façon que je tiens sans devenir totalement insensée, je crois. La notion de folie est subjective, ne trouvez-vous pas ? Bien consciente que ce sentiment de plénitude n'est que passager, je demeure là sans effectuer l'ombre d'un mouvement aussi longtemps que je pourrai tenir.

Puis-je rester ainsi à jamais ?

Même si ma capacité à retenir mon souffle a invariablement émerveillé mon ami Jérémiah, je suis parfaitement au clair avec le fait que je vais devoir remonter pour respirer d'ici peu bien que je n'en ai aucunement envie. Le jeune homme s'est souvent demandé si j'avais cette incroyable compétence parce que je viens d'ailleurs, s'appliquant à échafauder de nombreuses théories farfelues sur mes origines au fil des années. Parfois j'étais même croisée avec un poisson, voyez-vous.

Un instant j'étais de là-bas, mais quand j'ai rouvert les yeux, je n'étais plus de nulle part.

Mes pensées vagabondent vers mes souvenirs d'eux comme elles le font irrémédiablement, donc les interrogations m'habitant depuis le jour où je les ai perdus reviennent m'assaillir avec leur incroyable régularité. Ils auraient eu les réponses, c'est évident. Mais en réalité, me serais-je posé ces questions si le roi Manas n'avait pas pris cette décision ? Si j'étais encore près d'eux, imprégnée par la douceur de leur amour ?

À quoi ressemblerait ma vie si je n'avais jamais su la vérité sur vous ?

Je décide de compter jusqu'à dix avant de m'obliger à retourner au concret, démarrant le décompte à contrecœur. Mes poumons commencent à me brûler car honnêtement, cela doit faire cinq longues minutes que je suis sous la surface aussi plane qu'apaisante de l'eau froide m'enveloppant. Je me sens plus sereine, ici, raison pour laquelle je viens souvent, par tous temps et qu'importe la saison.

Dix... Neuf... Huit... Sept... Six... Cinq... Quoi ?!

Quelqu'un agrippe mon bras avec fermeté, me tirant de ma transe sans le moindre ménagement. Alors au moment où je rejoins l'air – ouvrant mes paupières avec stupéfaction – il y a bien quelque chose de différent. D'aussi nouveau que malvenu – en réalité – puisque je n'étais nullement préparée à revenir sur terre et qu'il semble décidé à m'y ramener contre mon gré.

Ne pourrai-je même plus trouver la paix en ce lieu ?!

Mais putain ?! m'exclamé-je, furieuse.

Je me débats instinctivement pour me défaire de cette indésirable emprise, rencontrant un regard bleu me contemplant avec incrédulité tandis que l'étau me maintenant se relâche aussitôt.

— Allez-vous bien ? s'inquiète l'indélicat jeune homme blond venu me déranger.

T'es con ou quoi ?!

C'était le cas jusqu'à ce que vous ne soyez là ! grondé-je, m'éloignant à la nage pour rejoindre le rivage.

C'est un rire nerveux qui me répond alors que je m'enfonce dans l'eau, m'asseyant parmi les roseaux.

Jusqu'au fond de l'eauWhere stories live. Discover now