SARAH

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Seattle, 2023

Ton visage est renversé sur mes genoux, mes lèvres sur les tiennes. Derrière nous, l'eau goutte du plafond jusqu'au seau. Les murs suintent d'humidité, le sol défraîchi est recouvert de tapis persans. Dehors, des sirènes, mauvais présages, annoncent des courses poursuites et des tentatives vaines de sauvetage.
Seattle est un bâteau qui coule. Mais c'est notre bâteau.

Est-ce que tu te souviens des jours d'antan ? Te rappelles-tu ces nuits qu'on passait loin d'ici ? La vie a-t-elle existé avant nous ? Avant le Crocodile, les mitaines, les vestes en cuir tané, tes mégots et les gribouillis de tes partitions sur les murs ?

Comment faisais-je alors pour dormir, sans ta chair contre ma bouche ? Sans que ne glissent tes mains dans des recoins qui feraient rougir la plus aguérie des putains ? 

Ton petit menton est pointu sous mes doigts. Tu es immense et minuscule, quand tu me murmures des choses obscènes, et quand je dois tenir ta main qui tremble. On ne m'a jamais dit que ça serait si dur de passer les doigts sur la peau striée d'un poignet, si dure de ne pas glisser ma main sous un maillot de bain au milieu d'une foule amatrice de beignets gras.

Je croyais que l'amour c'était un perron et un chien.

Je ne savais pas que tu existais alors. Je ne savais pas qu'on pouvait s'embrasser la tête à l'envers et siffler des flacons d'alcool bon marché tous les vendredis, et croire à cette routine comme au bon Dieu. Je n'avais jamais vu tes sourcils froncés, jamais senti tes doigts moites, jamais t'entendu prononcé le nom de ton groupe préféré. Si j'avais su j'aurai éteint la télé, et j'aurai prit le Greyhound jusqu'à notre studio pourri. Et je me serai couchée dans la poussière avec reconnaissance.

Pourtant c'est dure de t'aimer. Dure d'affronter tes silences et ton visage fermé pendants des jours. Dure de deviner lorsque ta peau te démange, lorsque le poids de la vie écrase tes méninges et déforme ton reflet dans le miroir. Dure d'être rejetée et repoussée sans cesse parce que je fais partie de tes plans tordus d'autosabotage.

Mais ça ne change rien pour moi. Je te choisirai toujours. Même si je pouvais t'échanger, toi et tes pires jours, contre un remède contre le cancer, je laisserais tous ces gens crever. C'est dégueulasse mais c'est comme ça que je t'aime, Sarah.

Je continuerai de soigner les crevasses sur tes jointures gelées. Je continuerai de brûler pour toi quand tu passes tes doigts sous mes hauts à paillettes au milieu de la foule. Je continuerai de collectionner des reliques et des talismans, des babioles Patti Smithiennes qui me rappellent ton existence. L'encens brûlera toujours tant que tu rentreras dans notre studio gris. Tant que tu me laisses t'écrire.

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les amants imaginairesWhere stories live. Discover now