ZEDIG

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C'est un garçon qui s'avance sur scène, avec son corps de danseur et ses chaussons. Torse nu, en tutu.

Aussitôt il lui plait, la démarche lui plait. Elle aime qu'il soit beau et formel, presque nu sous sa jupe de tulle rose. Elle aime le contraste, l'audace, la grâce.

Il danse. Merveilleusement bien. La musique, inconnue et étrange, forte, résonne fort et marque ses pas. Elle ne peut réprimer un sourire. Elle esquisse un geste, touche ses lèvres comme pour cacher la joie bizarre que lui inspire la scène. Et l'excitation aussi. Elle n'a jamais vu de garçon danser le ballet. Elle n'a jamais vu quelqu'un s'avancer avec autant d'assurance devant un jury de campagne. Elle n'a jamais vu quelqu'un se démener aussi bien sur scène. C'est la première fois qu'elle en croise un, en vrai, un artiste, qui a du talent, quelqu'un

Il la voit le regarder, bien en face, bien au milieu. Elle avait les mains croisées sur ses genoux il y a quelques minutes, jaugeant la scène comme une reine sur son trône. A présent elle est déstabilisée, sourit un peu. Elle rougit, mais il ne le voit pas dans la lumière tamisée. En revanche il voit ses yeux, et l'effet qu'il produit sur elle. Il ne l'a jamais vu, c'est la première fois. Elle est à côté de la mère d'une de ses amies. Il n'a pas le temps de se demander qui elle est : il danse. Il ne la quitte plus des yeux, reviens sans cesse à elle. Peut-être parce qu'elle ne ressemble à aucune des filles de sa classe, de ces gosses de riches bien éduquées. 

Son regard intense, la musique, les gestes, tout cela l'émeut si fort qu'elle en perd ses moyens. Son cœur bat, trop vite, elle sent son visage bouillir, elle respire trop fort. Elle a les symptômes d'une crise d'angoisse, sans l'angoisse. Elle ne comprends pas, cherche. Il la regarde encore. Tout est si étrange. Elle sait qu'elle vit quelque chose de décisif, quelque chose d'important. Peut-être y'aura-t-il un avant et un après. Près d'elle, sa voisine lui glisse quelque chose à l'oreille, elle ne détourne pas le regard, maugrée quelque chose, captivée. Elle ne peut pas détacher ses yeux de lui.

Elle a presque honte, est presque gênée de répondre à sa voisine pendant qu'elle le regarde. Comme si elle interrompait quelque chose d'intime. Comme si ce qui se passait ne devait pas arriver au milieu de tant de gens. Elle a l'impression qu'il lui fait l'amour, de l'autre bout de la pièce. Il la regarde si fort. La tension est quasi-tantrique. 

Lorsqu'il a terminé, il salue, la main sur le cœur. La main sur le cœur, toujours, il la regarde. La respiration se calme, la tempête est passée, la laissant dans un état d'hébétude et d'euphorie bizarre. 


Le garçon au prénom étrange, au grand corps de danseur et aux grains de beauté a disparu dans les coulisses.

les amants imaginairesWhere stories live. Discover now