HUGO

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Je pourrais appeler ce chapitre "Hugo ou Misérable romance".

Gentil, prévenant, vraiment, rien à redire.
Tout est de ma faute.

Ça y est, je recommence. Je sens les relans familiers de la dépression grimper sourdement le long de mon épine dorsale. La tête sur mon lit, le reste de mon corps prostré sur un tapis qui n'est même pas le mien. Je repense à jeudi et j'ai le cœur dans le vide.

Je suis fatiguée et la pensée de mon cadavre en charpie sur les rails d'un train ne me semble même plus absurde du tout. Rien ne me fait me sentir bien, et putain aussi cliché que cette phrase puisse paraître, qu'est-ce qui cloche chez moi ? Je crois que je ne peux pas tomber amoureuse. Et je crois que je ne peux pas coucher avec qui que ce soit. Une inadaptée comme on en voit peu, venez mesdames et messieurs, spectacle gratuit, laissez votre parapluie à l'entrée et venez admirer l'erreur de la nature, la plus incohérente des créatures jamais créée, incapable.
Encore plus pathétique quand on pense que je suis la seule spectatrice de ce freak show discount.
Je serre ma guitare contre moi comme un talisman.
J'ai mal quelque part, au-delà de mon corps, dans un espace que je suis incapable de situer.

Hugo, je comptais rentrer chez moi illico, je te jure. Pas épilée, dans une culotte en coton délavée, ça n'arrive jamais d'habitude et je me sentais un peu mieux. J'ai posé mon manteau près de ton amie, le serveur m'a dragué et puis tu me regardais. Blond aux yeux bleus, tu parles doucement dans ton col roulé noir et ton pantalon à pinces. Moi je vide mon verre et je ris quand tu cherches à m'impressionner. Tu me dis que tu es bourge alors je te dis qu'il faut qu'on se marie. Parce que je suis fauchée, alors ce serait une sorte de mécénat, non ? Tu souris. Est-ce que tu me parles en jargon socialiste pour te déculpabiliser de tes privilèges ? Tu dis oui. On sort dehors, tu poses ta veste sur mes épaules et je pense aux horaires des trams. Si je veux rentrer, c'est maintenant. Mais tu me demandes si tu peux me ramener chez toi, et comme je me languis toujours d'action, que j'ai envie de me sentir libre et forte, que je pense à Malo, que je lui en veux, que je m'en veux, je dis oui. On prend deux tramways, on parle de littérature et tu m'embrasses. Je perds l'équilibre alors tu dois me tenir très fort contre toi. Tu me demandes la permission toute la soirée, et comme je ne sais pas ce que je veux, je choisis mes réponses au hasard.
Ensuite ça va très vite, et je te préviens que ça va sûrement être décevant parce que j'y connais rien. Tu t'en fiches et tu te déshabilles. Tu es gentil. Tu me dis ce que je veux entendre depuis des semaines. Je suis belle, je te plais, c'est tellement bizarre que je ne fasse pas ça plus souvent, tu as envie de moi.
Mais tout le reste est maladroit, humiliant parfois, et je ne sais pas si j'ai le droit d'aimer ou détester ce que tu me fais, et je ne sais pas qui tu es, comment je vais faire pour rentrer demain ?
C'est la deuxième fois et elle n'est pas meilleure.
Mais tu me sers contre toi, tu es gentil, tu sens bon, j'aime bien les bruits que tu fais et tu me demande si j'ai soif.

Le lendemain, tu ignores le réveil et je te demande si tu vas en cours. Tu me dis non finalement, tu restes ici. J'hésite et puis je dis :
- Je pense que je vais y aller, moi.
- C'est pas moi qui vais t'encourager.

J'ai besoin de voir des visages familiers, je ne veux pas rentrer chez moi, je déteste rentrer chez moi. Et quelque chose de brûlant, petit et cruel m'anime : j'ai envie que Malo devine. Je maudis ce venin cuisant et je me déteste, je me trouve pathétique. Je pense à ma mère et à sa rancune. J'ai peur soudain.

Je me lève, je me brosse les dents aux doigts, j'enfile mes vêtements de la veille, je suis en retard. Je t'embrasse, le verrou est bloqué, tu dois te lever et déverrouiller la porte, ça éternise les aurevoirs et je me sens mal à l'aise.
Je n'ai plus de batterie et je marche quinze minutes jusqu'au tramway qu'on a prit la veille. Il fait très froid dehors, mes cheveux sont emmêlés et mon mascara a coulé. Je maudis le chargeur absent et le manteau oublié au bar. Je met une heure à atteindre la fac, frigorifiée et amère. Le cours est interminable et mon thé refroidit.
J'ai le droit à des petits sourires en coin. La moitié de la classe sait où j'ai passé la nuit. J'hausse un peu les épaules quand on me demande si j'ai passé une bonne soirée. Je ne sais pas quoi dire. Ton amie dit que tu étais en chien, ça ne devrait rien me faire, après tout c'était mon cas aussi. Mais quelque chose se pince quelque part.
Malo me fait danser dans les couloirs et puis on se sépare. Il attend sa copine devant le bâtiment et moi je pars encore, j'ai l'impression de m'enfuir comme ce matin. Et quand j'y pense, si c'était lui à ta place, je ne pense pas que ça aurait été différent.

J'ai froid et le tram ne passe pas avant quinze minutes. Alors je marche. Ça me réchauffera. Ça fait vingt-quatre heures que je n'ai rien avalé et je sens mes mollets fléchir sous mon propre poids. Je marche jusqu'à la prochaine station. Encore dix minutes. Trop long. La prochaine. Le tram me passe devant. Alors encore une autre. Des ampoules se forment derrière mes talons.

En culotte devant mon miroir, constat. Je jette mes chaussettes tachées de sang. J'ai les fesses striées de bleu et noir, là où tu les as mordu. Ma peau sent ton odeur. Tout est bizarre. Pourquoi je n'aime pas quand on m'embrasse ? Pourquoi je n'arrive jamais à aller jusqu'au bout ? Pourquoi ça ne va pas mieux ? C'était sensé aller mieux, j'ai pensé à ce genre de scénarios pendant des semaines.

Tu es jolie. Tu es belle. J'ai envie de toi. Je voudrais te ressembler. Je t'adore. Quand je t'ai vu, c'était comme une épiphanie. Ça m'a fait penser à toi. J'adore comment tu t'habilles. Je t'aime.

Pourquoi ?
Pourquoi l'absence et la présence s'équivalent-elles ? Pourquoi toutes ces phrases tombent-elles dans le vide ? Est-ce que je suis fragmentée au point d'être incapable d'aimer quique ce soit entièrement ? Aucune formule, rien pour me soulager.
Je ne veux pas te revoir mais je sais déjà que si tu n'essayes pas de me recontacter, ça va m'anéantir. Et puis si tu le fais, je resterai froide.
Je me déteste de me détester. Je me déteste de ressembler à ma mère. Je déteste ma rancune, mon égo, mon incapacité générale, mon insensibilité, mes envies stériles de bonheur et d'affection, mes idées préconçues sur la romance, et tout ce vide. Tout ce vide en moi qui ne peut pas être comblé. Et tous ces efforts vains que je fournis sans cesse.
Et la longueur de ce chapitre qui n'aboutit à rien.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 21, 2021 ⏰

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