11/11/21

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Elle est frigorifiée. Oui, oui, elle sait ce qu'elle a dit. Qu'elle irait danser, qu'elle rentrerait au petit matin. Elle n'a pas menti : elle a mit son petit haut, enfilé son manteau afghan. Elle est bleue et scintillante au milieu des photos. Mais elle a froid, elle est fatiguée, alors elle les quitte. Elle dit aurevoir, il la raccompagne. "Prend mon pull." "Non." Elle a refusé trois fois, puis elle a cédé.

Ils atteignent la station du tramway. Elle marche tout doucement, vidée. Il lui prend la main pour aller plus vite. Elle rit un peu, il la lâche.

- Tu m'accompagnes, alors ?
- Tu veux que je t'accompagne ?

Grands yeux.

- Tu m'as dit que tu m'accompagnerai.
- Tu vas vraiment me faire marcher deux heures en pleine  nuit, dans le froid ?
- Tu as dit que ça ne te dérangeais pas.

Toujours ces grands yeux. Il secoue la tête. Elle prend une inspiration, regarde les pieds des gens sur le quai d'en face.

- Tu peux pas me demander ça.
- Si, tu as promis.
- J'ai rien promis.
- C'est toi qui m'as proposé.

Elle le regarde dans les yeux. Il secoue à nouveau la tête.

- Tu vas vraiment me faire ça ?
- T'es pas obligée.

Elle détourne la tête. Il émet un petit claquement.

- T'as pas le droit de faire ça.
- Je te laisse le choix.

Elle lui sourit.

- Non. Non...

Il hoche la tête négativement.

- Tu sais très bien ce que tu fais .

Elle hausse les épaules.

- C'est toi qui vois.

Il se balance d'un pied à l'autre.

- Tu m'en voudras si je t'accompagne pas?
- Non.
- Si.
- Non...
- Menteuse.
- Non !

Elle rit. Il la fixe.

- Tu rends fou.
- C'est toi qui décides, répète-t-elle.
- C'est un test.

Elle sourit.

- Oui, sûrement.

Elle ne sait pas trop. Enfin si, elle veut voir jusqu'où il peut aller pour elle. Et puis pour se venger aussi. Il faut bien qu'il paye un peu.

- Donc ? Demande-t-elle.
- Ben d'accord.
- D'accord ? Tu vas vraiment le faire ?
- T'as vraiment peur ?
- Oui.

Elle ne ment pas. Passée une heure du matin, il n'y a plus de lumières dans la ville. On ne distingue rien. Elle marche à tâtons en espérant ne pas se faire ramasser par un sale type.

- Pour de vrai ?
- Oui.

Ils se taisent.

- Tu sais ce que tu fais. Ça me tue, t'es beaucoup plus intelligente que tu le laisses paraître.

Elle se contente de lui sourire tranquillement. 

- Je te force pas.
- Tsss...

Il est perturbé, elle s'en fiche. Elle a envie qu'il la raccompagne juste pour lui chanter My Funny Valentine dans le noir.  Le tram arrive. Est-ce qu'elle a le droit de lui demander ça ? Le pauvre. Et puis finalement, est-ce qu'elle a envie de passer quarante minutes dans le tramway avec lui ? 

Elle le regarde. Elle n'est pas amoureuse de lui. Il n'est pas si beau. Et puis elle a envie de se choisir. Elle a envie de faire quelque chose pour elle. Et surtout pas d'une séparation bizarre sur le pas de la porte. Elle déteste son manteau.

- Tu sais quoi ? J'ai changé d'avis.
- T'es sûre ? Tu dis pas ça pour me ménager ?
- Non, non, vraiment, je vais rentrer toute seule.
- Tu sais que je viens si tu me le demandes ?
- Je sais. Rentre chez toi.

Les portes s'ouvrent.

- Tu m'en veux pas ?

Elle rit.

- Non, puisque c'est moi qui prend la décision. 

Elle enfile son masque.

- Aurevoir.

Et elle s'engouffre. Le tram est bondé, c'est le dernier. Il quitte la station. Malo est parti. Soudain elle regrette très intensément. Elle est malheureuse, comme ce soir où ils ont été voir The French Dispatch à l'Utopia -le petit ticket bleu et les semelles gondolées de pluie. Ça dure une minute. Ensuite, la playlist qu'elle s'est concoctée dans les oreilles, elle se penche et se faufile sous les bras d'un passager pour atteindre un siège vacant. Ça fait rire la fille à côté d'elle. Elles se sourient. Et soudain tout va bien. Elle se rappelle qu'elle a envie de rentrer toute seule et qu'elle déteste son manteau. Elle a envie de se coucher et prendre soin d'elle. Se démaquiller et boire plein d'eau pour éviter la gueule de bois. Demain, elle étudiera avec ses copines. Elle a hâte. Tant pis pour le cadavre des lampadaires, tant pis pour les poèmes. Tout ça semble très factice tout à coup.

les amants imaginairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant