FLORENTIN

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"- Il y a eu Florentin."

Elle vient d'avoir dix-huit ans. Elle a passé la dernière semaine à secouer son amie, Elsa, pour qu'elle réponde aux avances du garçon qui lui plait. Ce garçon, c'est Florentin. Il a les cheveux cendrés, les joues rosis par la gêne lorsqu'on l'embarrasse et des yeux entre le brun et le vert. Au début, rien ne laisse présager une quelconque ambiguïté. Elle l'a ajouté sur les réseaux en voyant que son groupe d'amies l'a fait avant elle, il est venu lui parler. Ils ont plaisanté, discuté, elle a pris soin d'évoquer Elsa à plusieurs reprises. Un doute l'a assailli lorsqu'il a entrepris de transférer sa playlist titre par titre d'une plateforme à une autre, juste pour qu'elle puisse écouter ses chansons préférées. Mais elle l'a noyé. Entre temps, Elsa lui a envoyé un message : "Ne le fais pas tomber amoureux de toi".

Ensuite, il est venu lui dire bonjour avant sa copine. Il a contourné le banc où se trouvait Elsa, et a tendu sa joue à l'autre. Personne n'y a fait attention.

Plus tard, il y a eu la soirée chez Antoine. Son rouge à lèvre ne tenait pas, et un type lourd l'assommait avec ses théories du complot ridicules. La discussion allait bon train quand Florentin a planté l'enceinte au milieu des deux en augmentant le volume. Les trois se sont regardés avant qu'il n'aille s'asseoir près d'Elsa. Ensuite, elle est partie aux toilettes; quand elle revenue, il s'est assit près d'elle. Elle s'est tu et elle a regardé les autres, comme elle le fait souvent. Elle a mordu dans une chips en écoutant Lux parler de son épreuve d'art plastique. Au bout de quelques minutes, alors qu'elle allait pour remonter ses genoux contre sa poitrine, elle s'est rendue compte que leurs cuisses étaient collées l'une contre l'autre, leurs coudes aussi. Il n'était pas si proche il y a une minute pourtant.

Après deux bières, l'air est devenu plus léger. Elle a jeté un coup d'œil à Florentin qui la dévisageait. Une de ses amies s'est mit à discuter de toute l'aventure que ç'avait été de convaincre Elsa de répondre à ses avances.

- On t'avais déjà vu dans le hall ! On voyait un peu qui t'étais.

Florentin a bu une gorgée de son verre.

- C'est vrai ? Moi je vous avais pas vu !

Tout le monde rit autour de la table. Elle sourit. Il ajoute un peu plus bas :

- Sauf toi. Toi, je t'avais vu.

Elle lève la tête, darde son regard sur lui.

- Pas moi.

C'est la vérité : elle, non. Elle ne sait pas comment il le prend, elle ne s'en soucie pas vraiment. Elle vide le fond de son verre et pousse un petit rire.

- T'es une vraie glace à la vanille, tu le sais ça ?
- Quoi ?

Il fait les gros yeux.

- T'es pure, t'es un gentil garçon quoi.

Elle le voit prendre un peu la mouche.

- C'est pas vrai, je suis pas une glace à la vanille.
- En tout cas, t'es pas une glace au chocolat.

Alors ils se chamaillent encore un peu.

Et puis finalement, lorsqu'elle est montée rejoindre les autres dans le salon, avachie sur le ventre, sur le canapé, Elsa et lui ont commencé à jouer du piano à quatre mains. Dans sa tête, tout est devenu gris et triste, ennuyeux. Elle a recommencé à déprimer sans raison. Elsa s'est levée, Florentin l'a interpellé :
- Tout le monde dit que tu as une belle voix.

Elle a grogné dans un coussin.

- Tu veux pas venir? Je joue un truc et toi tu chantes.

Ses joues ont chauffé, elle n'a même pas prit la peine de lever la tête pour lui répondre.

- Non, ils disent des conneries.

Elsa s'y est mise, mais elle a refusé. Elle est montée à l'étage et s'est couchée sur un vieux matelas dans le grenier, en sous-vêtements. A son réveil Elsa et son amie étaient couchées près d'elle. Elle s'est redressée, Florentin est apparu à travers la trappe, torse-nu. Il l'a dévisagé, elle l'a imité. Et puis elle s'est souvenue d'Elsa et a attrapé un tee-shirt.



Chez Samira, on plante des tentes. On fume des cigarettes dégueulasses et on boit autour du feu de camp improvisé en faisant brûler des marshmallows. Ce soir, elle est malheureuse. Elle ne sait pas trop pourquoi, mais elle a ce poids qui pèse sur son ventre. Au-dessus des flammes, Florentin la regarde. Elle vient s'asseoir près de lui. Ses pupilles sont exagérément dilatées.

- Dis donc t'est déjà bourré ? S'étonne-t-elle.
- Non, j'ai bu qu'un verre.

A l'autre bout du cercle, on parle de joints.

- Moi aussi je me drogue.

C'est tellement soudain et inattendu qu'elle rit.

- Qu'est-ce que tu racontes ?

Le poids s'envole lorsqu'il lui sourit, un peu gêné.

- Si, je me drogue.

Elle plisse les yeux.

- Rien que le fait que tu dises ça me prouve le contraire.
- Je met de l'herbe dans mes cigarettes des fois.

Elle rit à nouveau.

- T'es tellement un gentil garçon !

Elle secoue la tête.

- Avec tes rayures, tes trucs de scout et ça.

Il se renfrogne, quelque chose vient de se perdre. Ça la rattrape. Elle pense "je suis fatiguée", elle pense "je voudrais partir très loin". Les marshmallows fondent au bout de la branche. Et puis il part. Il s'assoit à côté d'Elsa, il l'embrasse. Et puis plus rien. son cœur se pince, qu'est-ce qu'elle est bête. Elle passe la nuit dans la tente de Lux, vidée, les yeux secs et rouges. Elle sent le feu de bois et l'alcool.

Le lendemain, dans le train, qu'est-ce que c'est triste. Elle passe le bâtonnet de son gloss sur ses lèvres, écouteurs dans les oreilles, caresse les manches du pull que Samira lui a prêté, et puis elle darde son regard sur la fenêtre. Et puis finalement, elle a chaud, alors elle le retire et son vieux tee-shirt froissé apparaît, avec son image toute abîmée sur laquelle on peut voir une petite fille dire de l'amour n'est qu'une réaction chimique produite par le cerveau. C'est méchamment drôle quand on y pense. Elle évite son regard. Ce train, il les mène aux résultats du bac. C'est la fin d'une ère. C'est la fin de beaucoup de choses, elle le sent. De beaucoup plus que ça. Pour les autres, c'est le début d'une nouvelle aventure. En ce qui la concerne, elle n'en est pas sûre. Les filles engloutissent des Miel Pops en discutant. Florentin la regarde. Il y a comme des regrets qui flottent dans l'air.

Ils ne se reverront plus. Elsa rompra avec lui quelques jours plus tard. Ensuite, il lui enverra un message un peu ambigu, un peu pressé. Elle, fatiguée, loyale à son amie, sera évasive. Ils resteront là-dessus. Elle ne sais pas pour lui, mais elle y pense encore des fois. Elle se demande si elle aurait pu se donner à lui, d'une manière ou d'une autre. Est-ce qu'il était le seul garçon à lui donner jamais de l'attention ? Est-ce qu'elle aura droit à des glaces à la vanille, rien que des glaces à la vanille ? Le soir avant de s'endormir, lorsque son corps réclame quelque chose de plus, lorsque la frustration l'envahit, tant et si bien que les larmes lui montent aux yeux, elle se souvient des cheveux cendrés, des joues qui rosissent quand on l'embarrasse et des yeux entre le brun et le vert.

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