12. Neal

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- Tu refermes Lucie?

Je laisse mon interne refermer la chirurgie qu'on vient de réaliser, et me dirige vers la terrasse pour souffler. Je pense beaucoup à Mila, et mon humeur est quelque peu irritable depuis 10 jours. Je ne comprends pas pourquoi elle m'évite alors que tout se passait très bien, on passait de bons moments ensemble. Son sourire et sa façon de se moquer de moi me manquent, elle était une réelle bouffée d'oxygène pour moi. J'ai bien essayé de la contacter, de l'approcher, mais elle me fuit et évite mes appels. Avec son absence, je me suis aperçu qu'elle était plus importante dans ma vie que ce que je voulais bien me l'admettre. J'ai du l'effrayer en lui faisant des compliments et en l'approchant « plus physiquement », pourtant je ne regrette pas ce contact, simple et délicat, je pense que j'aurai préféré bien plus que ca au final, mais elle a du trouver que c'était déjà trop pour elle, pour les règles qu'elle a fixé.
Je récupère une canette de soda au distributeur au passage et sors sur la terrasse. Je m'accoude à la barrière face à moi et fixe l'horizon. D'ici on a vu imprenable sur la ville qui domine la mer, le soleil est bas, il va bientôt se coucher. En lorgnant ma montre je vois que ma journée est bientôt terminée, je traîne encore un peu, de toute façon rien ne m'attend chez moi si ce n'est les plats surgelés préparés que j'ai acheté. J'inspire profondément en buvant une gorgée puis ferme les yeux pour canaliser ma respiration. Je fais souvent cet exercice quand je suis contrarié. Le silence environnant est brisé par un reniflement léger, je ne suis pas seule sur cette terrasse. J'ouvre les yeux et cherche du regard qui est entrain de pleurer a l'abris des regards. Dans un coin de la terrasse, sur un banc, une silhouette en pyjama bleu, les genoux pliés sur la poitrine, la tête enfouie dedans. Une femme brune coiffée d'un chignon négligé pleure, isolée de tous. Je m'apprête à détourner le regard quand es yeux sont attirés par le calot serré dans sa main: un calot fleuri, le même que j'avais face à moi il y a 10 jours, le jour de la plus césarienne que j'ai pu voir de près. Elle est là, face à moi, triste, fragile. J'hésite à la rejoindre, je dois être la dernière personne qu'elle a envie de voir, mais plus je la regarde, plus mon coeur se serre dans ma poitrine. Je n'ai jamais su gérer les pleurs, et pourtant bon nombre de mes internes ont un jour pleurer dans le bureau par empathie, par échec ou par accumulation de fatigue. Mais elle n'est pas mon interne, elle est ... quest ce qu'elle est d'ailleurs? Je n'arrive même pas à le savoir. Est ce qu'on est amis? Je doute qu'elle me voit ainsi, mais à la façon dont ses larmes me transpercent, je sais qu'elle a une place particulière pour mon coeur. Je m'avance doucement et m'assois à côté d'elle. A mon contact, elle redresse la tête vers moi. Ses yeux sont humides, son maquillage a quelque peu coulé. Elle passe ses mains sous ses yeux pou le essuyer ses larmes, elle me fixe sans rien dire. Je la trouve magnifique en cet instant, la femme forte est devenue une fille fragile et délicate. Je ne trouve pas magnifique qu'elle pleure, loin de là, mais que sa carapace soit tombée, me laisse voir une autre facette d'elle que je ne me doutais pas.

- Tu devais espérer que ca soit Charlotte qui vienne te réconforter ou en tout cas, je dois être la dernière personne que tu espérais voir là.

Pour toute réponse, elle fronce les sourcils.

- Mila, ca fait des jours que tu me fuis, je crois savoir pourquoi, tu vois je ne suis même pas surpris ou en colère, tu m'avais prévenu, alors ne sois pas surprise que je doute que ma compagnie te ravisse. Tu veux me raconter ce qu'il t'arrive?

Elle pose sa tête sur ses avant-bras posés sur ses genoux et fixe le sol.

- Tu as déjà été confronté à la mort? Oui sans doute quelle question. Mais tu vois, tu sais pourquoi j'ai choisi ce travail?

- Dis moi...

- Parce que je donne la vie, je suis génératrice d'espoir, de joie et d'amour...

Sa remarque me prend de plein fouet, je crois que c'est la plus belle description que j'ai pu entendre pour décrire un job, et le pire c'est que c'est la vérité, la pire vérité.

- ... Mais pas ce soir. Ce matin , j'ai du annoncer a un couple, qu'après 9 mois d'attente, aujourd'hui, toujours dans le ventre de sa mère, le cœur de leur enfant ne battait plus, et certainement depuis plusieurs jours au vu de l'échographie.  Ces pleurs, ces cris, ces larmes... les cris d'une mère a qui on enlève son enfant sont... inqualifiables, j'ai l'impression qu'on m'arrache les tripes à chaque fois. Ce n'est pas la première fois que je fais cette annonce, mais on ne s'y habitue jamais. J'ai l'impression de ne jamais trouver les bons mots, mais est ce qu'il y a vraiment une bonne manière d'annoncer ca? J'en doute.
Aujourd'hui, j'ai du déclencher le travail de cette patiente, et après 10h de travail, j'ai du faire l'accouchement de cette patiente. J'ai du lui demander de pousser pour sortir son bébé décédé. Mais mort depuis plusieurs jours, trop fragile, il est resté bloqué. J'ai appelé l'anesthésiste pour faire une anesthésie générale et j'ai prié. J'ai prié pour rendre cet enfant à leurs parents en un seul morceau, de le rendre le plus présentable possible pour qu'ils puissent le voir et faire leur deuil. Voilà ce que j'ai fait aujourd'hui...

Je pose ma main sur la sienne, j'ai envie de pleurer avec elle. On s'imagine toujours que le travail de l'obstétricien n'est que joie et bonnes nouvelles, mais ils sont confrontés à des choses horribles, bien plus horribles qu'on peut l'imaginer.

- Je ne sais pas quoi te dire Mila...

Elle relève sa tête vers moi et plonge son regard dans le mien.

- Il n'y a rien à en dire Neal, je vais bien ne t'en fais pas, c'est juste beaucoup à gérer. C'est encore plus difficile depuis que je suis moi même devenue Maman.

- Je comprends, je peux faire quelque chose pour toi?

J'essuie une larme qui coule sur sa joue, elle ne me repousse pas, n'a pas de mouvement de recul. Je suis même soulagé quand elle resserre ma main restée sur la sienne.

- Pourquoi Neal? Pourquoi tu es là? Je veux dire, j'apprécie vraiment, n'en doute pas, mais je ne comprends pas, ces derniers jours je me suis vraiment mal comportée vis à vis de toi, je mérite pas que tu sois là.

Je soupire en baissant les yeux avant de replonger dans son regard.

- Tu me poses réellement cette question?

Son silence est un acquiescement.

- Parce que ... je tiens à toi Mila... et que je n'ai aucune rancoeur envers toi, je te l'ai dit, tu m'avais prévenu et...

Elle ne me laisse pas le temps de finir ma phrase, et lache ma main. Je pensais qu'elle allait encore s'enfuir, mais au lieu de ca, elle se rapproche de moi et pose sa tête sur ma poitrine en passant un bras autour de ma taille. Je reste un instant surpris et finis par refermer mes bras autour d'elle.

- Merci d'être là Neal... et pardonne moi...

- C'est oublié...

Dr Sexy & CoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant