Partie 4

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Il est l'heure. D'un signe, elle comprend ce que j'attends. Je répète la procédure de prélèvement, sans louper la veine cette fois.

– Voilà, poursuis-je en me redressant, il n'en reste qu'un seul, dans une vingtaine de minutes.

Alissa acquiesce, l'air ailleurs. Je dépose le flacon dans le petit sachet numéroté et repousse la mallette en attendant la dernière prise. La défaillante relève le menton brusquement et lâche :

– Pourquoi tu veux en savoir plus sur moi ? Vous nous prenez pour des animaux, non ?

– C'est le cas. Enfin, je veux dire... reprends-je en la voyant se rembrunir. C'est ce qu'on nous apprend, oui. Mais... tu ne corresponds pas vraiment à l'image que j'avais d'un défaillant.

Elle laisse éclater un rire froid et dénué d'amusement.

– Vous êtes vraiment tous les mêmes. Vous vous croyez supérieurs alors que vous n'avez plus rien d'humain ! Vous êtes qu'une bande de moutons : soumis et facilement contrôlables. Votre foutu vaccin, c'est juste une façon d'ôter tout esprit de rébellion et de vous rendre plus productifs. Pourquoi tu crois que les gouvernements mondiaux ont choisi cette option ?

– Parce qu'ils veulent le bien-être des populations, réponds-je du tac au tac. Vous n'avez que peu accès à l'éducation donc peut-être n'as-tu pas pu voir les chiffres. Le taux de criminalité était énorme. En mettant la logique et la raison au cœur de nos décisions, on s'élève. C'est ça qui nous éloigne de l'animal. Pas des pulsions ridicules qui mènent à la ruine et aux violences.

Ali secoue la tête. Ses yeux en amandes, légèrement plissés, envoient des éclairs. Elle vit ses paroles, les prêche avec une dévotion qui me fait frémir. Ses mots ne m'atteignent pas. Je sais qu'ils n'ont aucun fondement.

– Parce que là, tu crois réfléchir par toi-même ? Je parie que tu voues un culte malsain au Laboratoire. Que tu les considères comme les sauveurs de l'humanité. Que tu es persuadée que notre « défaillance », nous ne la devons qu'à nous-mêmes. Que vivre reclus est une sentence bien méritée. J'ai tort ?

– Je ne voue aucun culte au Laboratoire, rétorqué-je. Je suis simplement consciente de tout ce qu'il nous a apporté, de ses bienfaits. Sans lui, le monde serait encore en guerre. La cupidité et la convoitise nous auraient tous menés à notre perte. Au moins, notre société est un modèle d'exemplarité. Je doute que vous, les défaillants, vous puissiez en dire autant !

« Oui, je pense que vous êtes responsables de votre sort. Que vous préférez vivre avec des œillères plutôt que de reconnaître ce que la vaccination pourrait vous apporter. Si le problème n'était que financier, il vous suffirait de faire un prêt. De quérir un peu d'argent pour être acceptés parmi nous. Tout serait beaucoup plus simple ensuite.

– Donc ce n'est que cela ? De la simplicité ? Tu es complètement endoctrinée... Leur foutue propagande, on y a droit aussi. Pourtant, dans la réalité de notre vie et loin de votre paysage idyllique, on se rend compte de ce que c'est : de la manipulation.

Elle s'est levée pour appuyer ses propos. Peut-être y a-t-il aussi un peu de frustration. Je n'aime pas cette sensation d'infériorité qui me prend aux tripes. Pourquoi devrais-je me sentir menacée ?

– Tu confonds propagande et information, lancé-je.

Un pouffement de nez me répond. C'est un son étrange, à moitié soufflé et à moitié parlé. J'y décèle une note de mépris, mais je ne suis pas sûre de mon analyse. Ça a même l'air plus profond que cela.

Ne les envie pasWhere stories live. Discover now