Partie 7

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Le lendemain matin, dans la voiture, ma mère m'observe. Pas avec bienveillance ou considération. Elle m'étudie, comme si elle souhaitait analyser mon âme. J'essaie de ne pas accorder d'intérêt à son regard pesant, mais c'est une tâche impossible. Je ne peux pas me concentrer sur mon cours. Pourquoi fait-elle ça ? D'habitude, c'est à peine si elle sait que je suis là, elle commence à travailler à peine montée dans l'habitacle...

Un mauvais pressentiment me parcourt l'échine. Il remonte ma colonne, aussi vicieux qu'un serpent. Il y a quelque chose d'anormal. Les crochets de l'inquiétude s'enfoncent en moi, déversant leur venin dans mes veines. Les battements de mon cœur s'accélèrent et un poids s'abat sur mon estomac. J'ai soudain du mal à déglutir.

– Sur quoi tu travailles en ce moment ?

Une bouffée de soulagement m'envahit. La tension qui m'oppressait commence à redescendre.

– De la génétique, j'ai trois heures de biologie ce matin.

– Et en Histoire ?

Pourquoi mes cours l'intéressent-ils soudainement ?

– Nous commençons à aborder la stratégie vaccinale à ses débuts. La façon dont elle s'est développée.

Ses yeux marrons ne me lâchent toujours pas. J'ai l'impression qu'elle attend quelque chose, mais j'espère me tromper.

– Ton professeur m'a contactée. J'ai aussi reçu un rapport de P-908 sur les recherches que tu lui as demandé de faire.

Ah. Tout s'explique. Mon angoisse revient. Finalement, ce n'était pas si mal de ne pas connaître le problème. J'arrive à présent à déchiffrer la lueur qui rendait son observation accablante : de la suspicion. Comment vais-je me sortir de là ?

– Je cherche juste à comprendre.

Ce n'est sûrement pas mon argument le plus puissant.

– Je ne vois pas pourquoi tu as besoin de faire des recherches pour ça ou d'être insolente avec ton professeur. Tu les connais parfaitement ces explications.

– Je n'ai pas été insolente avec le professeur Leiner, contré-je. Je lui ai simplement demandé sur quels éléments il se basait pour faire son analyse.

Ma mère soupire.

– Tu remets en cause les analyses et les statistiques du Laboratoire, Irina. Tu n'as pas à faire ça. On a bien assez d'informations sur cette période pour savoir exactement ce qu'il s'est passé et grâce à qui.

– Oui, bien sûr, je ne...

– Si, me coupe-t-elle, je crois que tu as besoin d'un petit rappel. Sans le Laboratoire, notre monde serait à feu et à sang. Je suis contente de voir que ton côté scientifique te pousse à remettre en question et chercher des preuves, mais il y a des choses avec lesquelles tu ne peux pas jouer. Le vaccin en fait partie.

J'acquiesce silencieusement, ne trouvant rien à répondre. Que m'arrive-il ? Cela fait des années que je sais exactement quoi dire. Pourquoi maintenant? D'un réglage sur son écran holographique, elle commande à la voiture de s'arrêter. Nous sommes en plein milieu de la zone défaillante.

– Regarde, m'ordonne-t-elle. Dis-moi ce que tu vois.

J'obtempère, consciente de l'épée de Damoclès qui me menace. J'ai l'impression de regarder cette partie de mon monde avec des yeux nouveaux. La violence, la ruine et le désespoir que je décelais dans ces rues me semblent à présent bien loin. Dois-je y voir un signe d'amélioration ou au contraire le début de ma chute ?

Je n'ai pas le droit à l'erreur.

Les rues de grès qui se dessinent sont égayées par des cris et des rires. Deux adolescents se chamaillent un peu plus loin. Une jeune fille, sans doute à peine âgée de quinze ans, court, laissant ses cheveux roux voler derrière elle. Son ami la poursuit en s'esclaffant. Un bref pincement me brûle le cœur. Serais-je en train d'envier leur insouciance ?

Mon regard scanne les environs. Ces quartiers n'ont rien de comparable aux nôtres, mais ça, je le savais déjà. Cette pierre anthracite aux reliefs irréguliers et à l'apparence froide contraste en tous points avec nos cubes virginaux à la pureté parfaite. Ici et là, pendent des étoffes colorées. Elles apportent de la joie au décor environnant.

La voix aigre de ma mère me tire de mes pensées : 

– Irina ?

Mes paupières battent le rythme de mes incertitudes le temps de retrouver ma contenance protectrice. Il est temps de lui donner la réplique qu'elle attend.

– Oui, pardon, lui réponds-je après un raclement de gorge. Je vois les ravages que font les défaillants. La tristesse. La misère. La primitivité.

Je marque une courte pause. La satisfaction qui rehausse les pommettes de ma mère est éloquente. Je profite donc de ce signe d'encouragement pour réparer mon erreur précédente :

– Je n'insinuais pas que le vaccin n'avait eu aucun impact. Il serait bien idiot de ma part de faire preuve de si peu de logique. Surtout devant tant d'évidences. J'essayais d'entrevoir tous les facteurs afin de satisfaire ma curiosité scientifique.

– Bien. Que ça ne se reproduise plus, Irina. Ne remets pas en cause des faits prouvés par le Laboratoire. Même de façon involontaire.

J'acquiesce en silence et la voiture redémarre. La conversation terminée, j'en ai encore des palpitations. Dire ce que l'on attend de moi ne m'a jamais dérangée. 

Pourquoi est-ce que, soudainement, ça me met si mal à l'aise ? 

Ne les envie pasNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ