Partie 6

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J'espérais qu'au fil des jours, mon esprit oublie ma rencontre du Laboratoire. Qu'il efface tout élément perturbateur et me laisse retrouver ma vie fausse et monotone. Je me suis lourdement trompée. Cinq jours ont passé, et pourtant, je suis toujours aussi obsédée par Alissa. Cinq longues journées qu'elle me hante et m'empêche de me concentrer. Je revois son visage expressif. Sa hargne. Je me suis même surprise, à plusieurs reprises, à lui accorder le bénéfice du doute.

Il y a quelque chose qui cloche en moi et ce n'est pas juste lié au fait que le vaccin n'ait jamais fonctionné. Ça doit être plus grave que ça.

Je suis violemment tirée de mes pensées par le claquement de mains de mon professeur d'Histoire. Redressant la tête, je m'aperçois que le tableau holographique vient d'être allumé.

– Bien, lance l'instituteur, maintenant que nous avons révisé les dates importantes du dernier cours, nous allons nous intéresser à quelques données chiffrées. Comme vous le savez, aux débuts du vaccin, en 2108, le Laboratoire a réalisé des études importantes pour prouver le lien de causalité entre le décroissement du taux de criminalité et le nombre de vaccinés. Regardez ce graphique. Qu'est-ce que vous pouvez m'en dire ?

Il interroge l'une de mes camarades de classe qui a levé la main avant même la question posée. Elle s'empresse de relever les évidences :

– Le graphique présente l'évolution du nombre de crime et du nombre de vaccinés entre 2108 et 2120. Dès le début des vaccinations, on remarque une chute importante du taux de criminalité. Je vois mal le chiffre précis, je suis navrée.

– Merci Sofia. C'est tout à fait ça. Le programme d'Histoire nous demande spécifiquement de vous faire étudier ces chiffres. Ce sont les plus parlant que le Laboratoire a fait paraître depuis la mise en circulation du vaccin. Dès les toutes premières injections, on constate un arrêt immédiat de la courbe de criminalité. C'est bien la preuve de son efficacité. C'est d'ailleurs grâce à ces premiers résultats probants que le vaccin a pu être généralisé par la suite et que notre monde s'est relevé de la Dernière Guerre.

Malgré moi, je fronce les sourcils. Un détail me perturbe. Je lève la main pour demander la parole.

– Oui, Irina, m'invite-t-il à parler.

– Il y a peu de temps, nous avons vu qu'à la fin de la Dernière Guerre, des soulèvements d'une rare violence ont eu lieu à cause d'une famine sans précédents. Que les sols, rendus peu fertiles par l'utilisation d'armes à composantes chimiques dévastatrices, ne permettait plus de nourrir les populations. Vous nous avez dit qu'il avait fallu beaucoup de temps pour trouver des solutions. Si ces solutions commençaient à être mises en place, comment pouvons-nous être sûrs que c'est uniquement grâce au vaccin que le taux de criminalité a diminué ?

Les mots se sont forgés un chemin jusqu'à mes lèvres avant que je ne les retienne. Je suis trop bête ! Pourquoi j'ai osé ? Je me mords la langue pour me punir. M. Leiner fronce ses sourcils grisonnants. D'un geste peu assuré, il remonte ses lunettes sur son nez. Je peux facilement concevoir sa surprise. Ça n'arrive jamais qu'un élève remette en question les bienfaits du Laboratoire. C'est tout simplement inenvisageable.

– Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de ta question, Irina, répond-il finalement.

Maintenant que je me suis trahie, c'est un peu tard pour rebrousser chemin. Si ça se trouve, il me dira exactement ce que j'ai besoin d'entendre pour oublier Alissa et ses idées loufoques.

– Euh... Je... Ce que je veux dire, c'est que la faim est un besoin pour l'Homme. C'est propre à sa condition. La violence, les meurtres, les effusions de sang, tout cela c'était pour survivre. En assurant la possibilité au peuple de se nourrir, il n'avait plus de raison de se battre. Le problème a commencé à se régler en même temps que la mise en circulation du vaccin. Peut- être que ce qui a permis d'atténuer le nombre de crimes, c'est juste de nourrir à leur faim les gens et non le vaccin.

Ne les envie pasWhere stories live. Discover now