Partie 8

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Durant le trajet qui nous amène, mon père et moi, au Laboratoire, je ne peux m'empêcher de prendre du recul sur ma fin de semaine. Je me suis sentie épiée. J'ai eu l'impression que le moindre de mes mouvements était scruté. Je pensais avoir convaincu ma mère, mais ce n'est visiblement pas le cas. J'espère simplement que mes erreurs ne me porteront pas préjudice.

Comme la dernière fois, les locaux sont vides. On dirait une fourmilière abandonnée. Je suis Vladimir jusqu'au secteur Alpha et m'installe face à son bureau, dans l'attente de ses instructions. J'espère de tout cœur que mon plan se déroulera comme prévu. J'ai passé plusieurs jours à l'élaborer. Enfin... surtout à me persuader que j'en étais capable. C'est le genre d'idée qui peut tout me faire perdre d'un claquement de doigt.

Mon père tapote sur son écran holographique avant de se concentrer sur moi.

– Bien, Irina. Aujourd'hui, je vais te demander de trier quelques résultats d'analyses. Les données sont clairement inscrites donc ce n'est pas très difficile. Je veux simplement que tu crées un dossier pour les résultats positifs et un dossier pour les résultats négatifs. Transfère les fichiers dans l'un ou l'autre. Je t'ai tout envoyé.

J'acquiesce, un peu déçue de ne pas écoper de la même tâche que la semaine dernière.

– D'accord, merci Vladimir.

Je saisis la tablette qu'il me tend et me met au travail. La répétitivité du geste est d'un ennui mortel. Je m'empresse d'avancer, histoire de terminer plus vite. Les minutes s'écoulent avec une lenteur affligeante. Au bout d'un moment, je tombe sur le résultat d'une analyse qui porte le nom d'Alissa. J'interpelle Vladimir :

– Vladimir, vous avez déjà eu le temps de tester les échantillons sanguins que j'ai prélevés la semaine dernière ?

Sans prendre la peine de relever les yeux de son microscope, il secoue légèrement la tête.

– Non, il nous en reste encore un.

– Et, heu... commencé-je avant de me racler la gorge. Vous n'auriez pas besoin que j'en refasse ?

Il relève la tête et fait glisser ses lunettes sur le sommet de la tête pour mieux me dévisager. 

– Non, je ne préfère pas, non.

Conservant un air neutre, je déglutis tant bien que mal.

– Bien, je craignais que vous ne tombiez à cours de stock avant le retour de votre assistante.

– C'est très professionnel de ta part, Irina, mais ça ira.

Je me replonge dans mes analyses, consciente de son regard posé sur moi. Une chose est sûre : il ne va pas me faciliter la chose.

Par un extraordinaire concours de circonstances, notre solitude est rompue par l'un de ses collègues. L'homme a l'air alarmé. Ses cheveux bruns forment une touffe hirsute sur le sommet de son crâne et les cernes qui soulignent ses yeux clairs marquent son manque de sommeil.

– Vladimir, on a besoin de ton expertise dans la zone Delta.

– J'arrive, lui répond-il en se levant.

Il ne m'adresse pas le moindre mot et se précipite à la suite de l'autre scientifique. C'est le moment ou jamais. J'attends quelques secondes pour être sûre qu'ils sont loin et quitte le bureau. Je me souviens brièvement du chemin pour rejoindre la cellule d'Alissa. Pourquoi tout doit-il autant se ressembler ? C'est un vrai casse-tête ! Mon sac sur l'épaule, je fais le tour des mêmes couloirs.

Quand enfin j'arrive devant le scanner, je sais que je n'ai pas emprunté la route la plus courte. Je présente mon œil et avance sans perdre un instant supplémentaire. Mon plan est déjà assez mal engagé comme cela.

J'ouvre la porte de sa « chambre » et la referme derrière moi dans un bruit peu discret. Elle sursaute et se redresse dans son lit, ses cheveux blonds formant une couronne de mèches emmêlées autour de son visage. Ses sourcils froncés marquent sa stupeur.

– Irina ? Qu'est-ce que tu fous là ?

– Pas le temps pour les questions, dépêche-toi de prendre quelques affaires.

Ali passe une main dans sa chevelure et enfile une paire de chaussure.

– Je n'ai rien d'autre. Et je ne partirai pas avec toi. Pas sans mon argent.

Je lui lance le sac à dos en répliquant :

– Ça devrait suffire, non ?

Elle en observe le contenu, estomaquée.

– Je... oui... Mais...

Je m'avance vers elle et la prend par la main. Ce geste me paraît si étrange et naturel à la fois.

– Je t'ai dit qu'on n'avait pas le temps pour les questions.

Étonnamment, elle se laisse entraîner en dehors de sa cellule. Ce n'est qu'une fois dans le couloir qu'elle recouvre sa fougue.

– Non, m'oppose-t-elle en se débattant, lâche-moi. 

Je la libère immédiatement.

– Ce n'est pas ce que tu veux ?

Alissa renâcle avec mépris.

– Comment tu pourrais savoir ce que je veux alors que tu ne sais même pas ce que c'est que vouloir. Je n'irai nulle part avec l'une des leurs, je préfère me débrouiller seule.

– Ça tombe bien, je ne suis pas l'une des leurs.

Ces mots laissent un goût âpre sur ma langue. Quelque chose de nouveau s'élance dans ma poitrine, un peu douloureux, mais bien moins que j'aurais pu le penser. Une lueur sceptique anime son regard ténébreux alors qu'elle éclate d'un rire narquois.

– Mais bien sûr... Pourquoi tu fais ça ? Ça t'apporte quoi de m'aider ?

Je vois bien que je ne parviendrai pas à m'échapper sans lui avouer la vérité. Un soupir glisse entre mes lèvres.

– Je ressens le besoin de faire ça. J'en ai vraiment envie.

La défaillante secoue la tête en signe de négation.

– Je peux pas y croire. Tu me prends vraiment pour une conne.

Je suis sur le point de la contredire, de lui expliquer qu'elle m'a ouvert les yeux et qu'il m'était tout bonnement impossible de la laisser croupir ici, lorsque la porte s'ouvre avec fracas. La silhouette imposante de Vladimir se dessine dans l'embrasure. Il a les bras croisés sur son torse.

– Irina, je peux savoir ce que tu comptes faire ?

Impuissante, je jette un coup d'œil à Alissa qui s'est tassée sur elle-même. Je sens sa peur d'ici, Vladimir la terrifie. Qu'a-t-il pu lui faire pour qu'elle réagisse ainsi ? Elle qui paraît si forte.

– Euh... je...

Je perds mes mots face à son air mauvais tandis qu'il continue son ascension dans notre direction.

– Ta mère avait raison, lâche-t-il en retroussant sa lèvre supérieure de dégoût. Tu n'es pas normale. Rien chez toi ne l'est. 

Ne les envie pasWhere stories live. Discover now