Chapitre III - Premier jet

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    Bien que la tea party avec les sorcières se passait merveilleusement bien, je fus obligée de partir avant la fin afin de respecter un autre de mes engagements. Heureusement, ni Miss Burke ni ses protégées ne s'offusquèrent de mon départ et, au contraire, me firent part de leur impatience de me revoir.

    Une fois arrivée au domaine de Hampstead Heath, j'eus à peine le temps de descendre de la voiture, le cocher m'ayant aimablement proposé sa main, qu'une silhouette apparut de nulle part à quelques pas. Un sourire illumina son visage tandis qu'elle déclara avec entrain :

  - Bonjour, Miss Valentine. Vous êtes pile à l'heure pour notre rendez-vous.

  - Bonjour, Lady Hepburn. Je suis partie un peu plus tôt de la tea party avec le coven, je me doutais que nous allions avoir quelques légers ralentissements sur la route.

    En effet, bien que le trajet du large bâtiment sur Hanover Terrace, avec une vue imprenable sur le Regent's Park, jusqu'à Hampstead Heath se passait généralement sans encombre, il arrivait qu'une charrette ou deux se renversaient et rendaient la circulation beaucoup moins plaisante.

    En réponse, Lady Elisabeth Mary Hepburn se contenta de s'approcher, son corps éthérique volant par-dessus le sol. Elle était malheureusement morte lors d'un affreux accident de fiacre, alors qu'elle revenait d'un bal. Heureusement pour elle et pour toutes les personnes qu'elle croisait, elle ne se souvenait pas de cet événement et conservait donc la dernière apparence dont elle se rappelait : une somptueuse robe de la maison Worth, toute en soie crème et taffetas d'une teinte plus foncée, ornée de fausses roses abricot et de feuilles de lierre, et de pantoufles dans les mêmes tons retenues par un nœud à la cheville. Son chignon élaboré retenait une cascade de mèche brunes grâce à une superbe broche en or.

    J'aurais été prête à tout pour mourir de façon si élégante... mais il serait terriblement grossier d'avouer cela à ma pauvre interlocutrice, qui n'avait jamais demandé à finir sa vie de cette façon. Et je devais avouer qu'être toujours habillée de façon aussi sophistiquée n'était pas très pratique. Par exemple, la taille de sa jupe était si volumineuse qu'il lui avait fallu un peu d'entraînement pour réussir à s'asseoir avec grâce dans toutes situations, sans que personne n'aperçoive ses chevilles.

    Me coupant net dans mes pensées, elle posa une de ses mains gantées sur mon bras. Le contact glacé me fit frissonner, mais je ne protestai pas. Les esprits étaient des êtres souffrant d'une absence de chaleur, et appréciaient pour cela les feux de cheminée, les tasses d'eau chaude ou encore les vivants. Nous toucher était aussi nécessaire pour eux que de se raccrocher à une bouée de sauvetage lors d'une tempête. Nous étions une ancre qui les stabilisait dans la réalité et leur permettait également de continuer à mener un simulacre de vie.

    Ses yeux céruléens croisèrent les miens, dont la couleur rappelait les châtaignes et les feuilles d'automne, et elle annonça alors sans se départir de sa bonne humeur :

  - Je suis toujours ravie de profiter de votre compagnie lors de nos promenades. Voyez-vous, vous êtes la seule à prendre de votre temps pour me raconter ce qui se passe en société.

    Je me retins de lui expliquer que c'était bien normal, puisque seul Mr. Gilson et moi-même étions en relation avec d'autres personnes que les membres de la meute. Toutefois, je préférai plutôt l'amener lentement vers notre chemin habituel, qui longeait des allées de chênes et de bouleaux. Le temps était parfait pour marcher en plein air et...

  - Excusez-moi ?

    La voix n'était pas grondante et le ton restait poli, mais je sentais une pointe de menace dans ces simples mots. Je me retournai, prête à faire face à un des jeunes membres de la meute - qui pouvaient se montrer très territoriaux...

Le voleur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant