Chapitre XI - Premier jet

47 10 1
                                    

     Heureusement, il semblait que l'énorme bête n'était pas trop blessée par son dérapage. Un peu désorientée, mais comme n'importe qui dont la tête aurait violemment rencontré un pied de table.

     Dès qu'il eût retrouvé ses esprits, notre alpha se mit à se transformer devant nous, sans s'attarder sur le fait que deux femmes étaient présentes - la nudité constituait une condition normale et peu embarrassante pour les loups-garous. Ainsi, ses muscles bien dessinés ne me firent pas plus d'effets que cela, tout comme ce qui pendait entre ses cuisses. Toutefois, comme me l'indiquait mon éducation, je me fis un devoir de ne pas poser mes yeux plus bas que sa gorge.

     L'Écossais devant moi prit un moment pour observer ce qui l'entourait, et tout particulièrement le grand chien gris et brun et la jeune femme agenouillée par terre. Je ne fis aucun commentaire et le laissai continuer d'observer mon bureau, comme s'il cherchait encore autre chose.

     Ou bien son dérapage l'étourdissait encore un peu.

     Puis, soudainement, il sauta - littéralement - sur une énorme assiette de saucisses que Henry venait tout juste d'amener pour tous les invités. Je tentai tant bien que mal de retenir un hoquet d'effroi tandis qu'il engloutissait la viande à une vitesse surprenante. Doux Jésus !! Si un humain, autre que nos domestiques, aurait assisté à cette scène, nul doute que les journaux nous auraient dépeint un mois entier comme de vulgaires bêtes qui se faisaient passer pour des hommes.

     Ce qui n'était pas tout à fait faux, même si mon égo n'était pas tout à fait de mon avis.

     Je décidai finalement de tousser doucement pour attirer l'attention du grossier personnage sur moi, puis pour lui déclarer avec tout le respect que je pouvais rassembler :

   - Je ne pense pas que manger aussi sauvagement soit bien vu par les membres de la société londonienne.

   - Machar est actuellement affamé et refuse que je fasse quoi que ce soit avant que je n'avale quelque chose, réussit-il à grogner entre deux bouchées pendant qu'il s'installait sur mon fauteuil crème - qui protesta bruyamment contre cette masse de muscles et de chair. Et ce n'est pas un grand amateur de légumes, de fruits et de biscuits.

    Je levai un sourcil des plus inquisiteurs, ce que mon interlocuteur remarqua immédiatement. Il prit alors la peine d'ajouter :

  - Machar est mon âme loup.

    Même si je m'en doutais quelque peu, je préférais en avoir la confirmation. Au moins savais-je désormais pourquoi notre alpha, qui avait un comportement des plus remarquables ces derniers jours, se nourrissait avec autant d'appétit et de manières qu'un orphelin dans les rues de Londres.

    J'estimai que je n'avais pas besoin de m'attarder un plus longtemps sur ce sujet et préférai orienter notre discussion vers un sujet plus pressant :

  - My Lord, quels sont vos ordres ?

    Il prit quelques secondes pour réfléchir, les yeux fixés sur Mr. Twain. Un coup d'œil suffit à me signaler que Miss Jane Vinson écoutait attentivement notre conversation, tout en caressant doucement la tête de ce qui fut son ancien fiancé. Henry, quant à lui, resservait un peu de thé à Mr. Gilson, dont les traits s'étaient crispés dans une expression de contrariété.

  - Je pense rappeler tous les loups-garous vagabonds de Londres ici. Le domaine est assez grand pour que dix autres loups-garous puissent habiter ici sans en venir aux mains. Nous pouvons aussi accueillir les petits et les compagnes de quelques membres, mais je ne suis pas sûr que nous ayons de quoi s'occuper des plus jeunes.

Le voleur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant