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  - Y font quoi, là-dessous à patauger comme des nouilles dans la douve ? demanda Tobio.

- Ils essayent de retirer l'eau, expliqua Aone. Faut qu'on draine le fossé pour pouvoir de nouveau planter. C'est une belle parcelle, bien protégée. Avant, on cultivait tous nos fruits et légumes ici.

- Ben, elle vient d'où toute cette eau, alors ? demanda Shōyō.

- Du fleuve, répondit Aone avec un signe de tête en direction des eaux grises qui venaient lécher les abords de la Tour. On peut rien faire contre la crue. Dans le temps, il y avait une digue. Elle existe toujours, mais elle ne sert plus à rien.

- Quoi ? s'étonna Hinata. Une digue pour empêcher l'eau d'envahir la douve ?

- Non. Pour empêcher le fleuve de tout inonder.

- Tu veux dire la Thames Barrier ? dit Shōyō. J'en ai entendu parler, mais j'ai jamais su comment ça marchait.

- Imagine une barrière que l'on baissait à chaque grande marée de la mer du Nord. Sans cela, Tokyo aurait été inondé en permanence. C'est pas loin d'ici, en aval. Mais, évidemment, il n'y a plus personne pour la faire fonctionner, et quand bien même quelqu'un voudrait la manœuvrer, il n'y a pas de courant pour l'alimenter. Régulièrement, on a une très grosse marée et le fleuve déborde. La dernière fois, ça a inondé la douve. Deux cents ans qu'elle était à sec ! Oh, bien sûr, l'eau s'évapore et le niveau baisse un peu chaque jour, mais on essaie de hâter le mouvement en écopant. Le problème, c'est que, tôt ou tard, ça va recommencer. Et avec la douve inondée, on ne peut plus cultiver autant ni récolter assez pour nourrir tout le monde, ce qui oblige les pelotons de maraude à sortir plus souvent et à aller de plus en plus loin. Ça devient dangereux. Les Éclaireurs ne chôment pas en ce moment.

- C'est quoi, les Éclaireurs ? demanda Shōyō.

- Quand on a débarqué ici, Kenji Futakuchi a enrôlé tout le monde dans des unités militaires.

- Y avait personne, quand vous êtes arrivés ?

- Si, quelques enfants, mais mal organisés. Kenji a renversé leur chef en moins de deux... Le gars du procès, hier. Kōsuke.

- Ah ouais, je me souviens de lui.

- C'est Kenji qui a fait de cet endroit ce qu'il est aujourd'hui. Il a tout de suite entrevu l'ampleur de la tâche, tout comme l'obstacle principal qui se dressait sur sa route, à savoir que la plupart des enfants rechignaient à effectuer les tâches ingrates, comme la cuisine, le ménage ou la lessive.

- Trop vrai, dit Tobio. Le lavoir, fût-il de la haute, je vous le laisse, très peu pour moi. Je ne saurais consentir à pareille bassesse, s'kuze vot' respect, m'dame.

- Exactement, acquiesça Aone dans un grand éclat de rire. Voilà pourquoi Kenji s'est dit qu'en administrant tout sur le mode militaire, les gens l'accepteraient plus volontiers. Il a assigné chacun à un régiment. L'idée étant que chaque régiment soit fier de ce qu'il a accompli et qu'aucun régiment ne soit supérieur à un autre. Ça marche très bien. Garçons et filles sont mélangés pour qu'on ne puisse jamais parler de tâches réservées.

- Donc, si je comprends bien, vous avez des officiers ? demanda Hinata.

- Bien sûr. Chaque régiment à son propre capitaine et tous les capitaines sont au même niveau.

- T'es capitaine, toi ?

- Absolument, capitaine de la Garde, répondit Aone, l'air de ne pas y toucher.

  Shōyō voyait bien qu'il s'agissait là d'un motif de fierté.

- Dans ton régiment être je veux, dit Kageyama. J'me vois pas manier de la cocotte et de la poêle, le prends pas mal. Ni one for the money ni two for the show. Oublie. Je suis pas fait pour la popote.

ENEMY Tome 2 : Le sacrifice Where stories live. Discover now