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  Saint Georges termina le morceau de viande qu'il était en train de mâchouiller. Une impression d'avoir mâché ce truc pendant des siècles. Il avala la boulette, la sentit descendre dans sa gorge, puis dans son estomac enflammé. La viande avait bon goût. Comme toujours. Ça le remplissait de lumière.
  Il était entouré de son armée. Ils étaient venus à lui. Innombrables. Il sentait la force du nombre l'envahir. Ils étaient comme un cœur qui bat, et chaque pulsation dissipait un peu plus les ténèbres qui obscurcissaient ses pensées, laissant place à la lumière.
  Ils étaient lui et il était eux. Un seul et même esprit. Il se propageait en mangeant dans le monde, en lui donnant son sens. Tout lui appartenait. Il le mâchait, comme la viande.
  C'est comme ça.
  Il était là. Seul, double, multiple...
  Ça se tient, ça ?
  Il était là depuis longtemps. Ça, il le comprenait. Il était une sorte de dieu, tombé des étoiles. Tombé dans le grand vert. Il avait toujours vécu dans la jungle. Comment avait-il pu l'oublier ? Les souvenirs étaient là, en lui. Il avait régné sur ce monde, comme il allait régner sur celui d'aujourd'hui. Pour cela, il suffisait de détruire les derniers. Les jeunes. L'unique chose susceptible de l'arrêter. Eux partis, le monde lui appartiendrait.

  Oh, mais comme ils avaient bon goût ! Rien de meilleur. Quand il était boucher...
  C'était quand, d'ailleurs ? Avant ou après la jungle ? C'était pas clair. Il se rappelait de son garçon. Son Liam. Des garçons lui avaient fait quelque chose, l'avaient emmené.
  Quelque chose comme ça.
  Quelque chose.
  C'était confus.
  Il avait été boucher et il avait aimé son Liam. Liam était différent. Il n'aurait jamais touché à un cheveu de Liam. Les autres, c'étaient juste... de la viande. Or, il savait tout de la viande. Puisqu'il était boucher.
  Il grogna et plaqua ses mains contre ses tempes. Ça le gratouillait. Son œil palpitait. Il l'essuya. Quelque chose en sortit. Il palpa avec ses gros doigts. Il avait un truc coincé sous la paupière inférieur. Il pinça puis examina ses doigts. Une petite chose grise et luisante se contorsionnait comme un ver entre son pouce et son index. Il appuya sur son œil. D'autres asticots émergèrent à la commissure. Il se lécha les doigts.
  Où était-il ?
  Il voulait savoir.
  Ouh là, mollo. C'était douloureux. Toutes ces pensées et ces souvenirs qui lui revenaient comme ça d'un coup, telles des bulles dans une pinte de bière. Il fallait qu'il soit fort et clairvoyant s'il voulait accomplir sa mission. Il les flairait là, les jeunes, tendres et goûteux. Il marcherait sur eux quand il serait prêt.

  Fort, fort loin, il entendait chanter ses frères. Une multitude de voix. En approche. Parfois, la nuit, une voix sortait du lot, plus forte et plus claire que les autres. Elle l'appelait.
  Enfin, difficile d'être plus précis. Il lui aurait fallu des mots.
  Car il était le chef, n'est-ce pas ? Et son peuple... un essaim de mouches. Oui, c'était ça. Des insectes. Avec des ailes d'anges. Des locustes. Qui allaient bientôt former un nuage. Comme avant.
  Quand ils seraient prêts.
  Quand tout serait prêt.
  Quand ils seraient si forts qu'ils seraient invincibles.
  Il esquissa un sourire et, dans l'obscurité, trois cents visages déconfits sourirent avec lui.

À suivre...

ENEMY Tome 2 : Le sacrifice Where stories live. Discover now