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  Les adultes arrivaient de partout, y compris des rues adjacentes, au carrefour. Le gros père au milieu de l'allée leur sauta dessus.

- Tiens, goûte-moi ça, lança Kanji en donnant un coup de hache.

  Fascinée, incapable de détourner les yeux, Hana vit la lame s'abattre sur le cou du père et trancher net la tête, qui s'envola.

- Courez ! hurla Aone.

  Dans l'instant, les enfants détalèrent à fond de train dans l'allée. Le pont n'était qu'à deux cents mètres. Mais, aux yeux de Hana, ils paraissaient des kilomètres. Elle était si tendue qu'elle avait mal partout. Elle n'avait pas couru aussi vite depuis des mois.
  Le groupe s'était scindé en deux. Quelques enfants avaient pris de l'avance. Hana tenait la main de Shōyō et de Tobio, sans qu'il soit possible de savoir qui tirait qui. Atrocement lent, le Green Man peinait à suivre, étirant d'autant le petit groupe. Elle avait un point de côté. Elle ne pouvait plus respirer.

- Attendez ! J'peux pas suivre.

  Aone s'arrêta net et, avec lui, le grand gaillard, Kanji.

- Allez ! cria le premier. Tu vas y arriver.

- Non. J'peux plus.

  Une poignée d'adultes s'approcha. Les grands n'eurent pas d'autre choix que d'engager le combat. Devant, les premiers aussi se battaient. Aone et Kanji luttaient pour repousser les adultes, s'éloignant du même coup de Hana. Adèle vint leur prêter main-forte, taillant sa route au milieu des vérolés, tel un rhinocéros en pleine charge. Quand elle le voulait, elle pouvait être vraiment sauvage.
  Durant un moment, Hana, Shōyō et Tobio se retrouvèrent sans protection. Hana poussa un long hurlement en s'accrochant à Hinata. Shigeru accourut aussitôt, tailladant les adultes jusqu'au retour d'Aone et de Kanji.
  Alors que les crevards, désorientés, grouillaient en tous sens, une brèche s'ouvrît jusqu'au pont. Ce qui n'échappa pas à Aone.

- On y va, vite !

  Les enfants démarrèrent en trombe, ramassant les autres en chemin.
  Les pieds de Hana claquaient sur le bitume. Levant les yeux, elle croisa le regard d'Adèle, à son côté.

- C'est bien, ma chérie... Continue.

  Apparemment, ils allaient y arriver. Ils étaient trop rapides pour les crevards. Pourtant, au niveau du carrefour, une épaisse mêlée de corps en décomposition émergea d'une rue adjacente.
  Instantanément, les pères et les mères se mélangèrent à eux. Hana perdit le contact avec les autres. C'était le chaos. Des corps la pressaient de toutes parts sans qu'elle puisse dire s'il s'agissait d'enfants ou d'adultes. Elle était tellement comprimée dans cette pestilentielle marée de chair brûlante qu'elle n'y voyait plus rien.
  Soudain, Adèle réapparut, se frayant un chemin à travers la foule à coups d'épée. Hana sut aussitôt que tout allait bien se passer. Adèle allait la protéger. Faire en sorte qu'il ne lui arrive rien. L'orage n'allait pas faire tomber l'avion. Adèle était son hôtesse de l'air.
  Se penchant en avant, celle-ci attrapa Hana et tenta de la soulever de terre. Mais des mains calleuses se refermèrent sur elle, la retinrent, luttèrent pour l'arracher de l'emprise d'Adèle. Le souffle coupé, Hana ne pouvait plus émettre aucun son.
  Elle vomit lorsque des mains la firent basculer à l'envers. Le monde n'aurait pas tourné davantage si elle s'était retrouvée dans le tambour d'une machine à laver.

- Dans tes rêves, l'affreux !

  Un bruit sourd. Une giclée de sang sur son visage. De nouveau la lune. Des nuages moutonneux dans le ciel. Elle était étendue par terre et Adèle se tenait au-dessus d'elle. Elle lui tendit la main en souriant.
  Hana lui rendit son sourire.
  Et puis, tout d'un coup, Adèle disparut du paysage.
  Trois mères l'avaient attrapée et la traînaient. En une seconde, elle fut avalée par la foule, exactement comme Hana quelques instants plus tôt.

- Aone ! Aone ! Ils ont Adèle ! Aone !

  Là. Il était là. Luttant comme un diable au milieu de la foule. Et puis lui aussi disparut. Et Hana fut persuadée qu'elle ne le reverrait jamais. Elle n'en reverrait aucun. Tout était fini.
  Un terrible craquement résonna, immédiatement suivi par deux violents impacts. Du sang giclait. Des corps s'effondraient. La hache de Kanji ouvrit une brèche, précédant de peu l'apparition de son propriétaire, qui taillait littéralement en pièces les lignes ennemies. Quelques instants plus tard, Aone reparut, emmenant Shōyō et Tobio dans son sillage.

- Adèle ? s'étrangla Hana.

- Je la vois nulle part, dit Kanji. Qu'est-ce qu'on fait ?

- Rien, répondit Aone. Y a plus rien à faire. Elle est partie.

- Non, vous ne pouvez pas, se lamenta Hana. Faites quelque chose !

  Mais, avant qu'Aone ait l'occasion de lui répondre, un cri retentit. Tish était happée à son tour. Kaname repoussait les adultes à coups de massue, mais il était dépassé par le nombre. Cette fois, ce furent Shigeru, Issei et Hayden qui chargèrent, se montrant plus efficaces qu'Aone et Kanji avant eux, puisqu'ils libérèrent rapidement Tish qui rejoignit le reste du groupe en boitant, les bras couverts d'entailles. Elle avait perdu son épée dans la bataille. Un gros père édenté ne tarda pas à émerger de la foule en l'agitant en l'air.
  Aone jura et lui planta sa lame jusqu'à la garde dans la panse, répandant ses tripes sur le bitume. Puis il lui arracha son arme des mains et la rendit à Tish. Il avait une expression effrayante sur le visage. Il était livide, les traits tirés, un vrai monstre.
  Pendant tout ce temps, le Green Man était resté là, à pianoter, faisant cliquer ses ongles interminables, au milieu de l'espace vide qui s'était formé autour de lui, apparemment insensible à ce qui se déroulait sous son nez.
  Hana chercha de nouveau Adèle du regard. En vain. La première vague d'assaut repoussée, les crevards revenaient à la charge. Encore cent mètres jusqu'au pont.

- Kaname, Issei, Shigeru, prenez les gosses, aboya Aone. Kanji, avec moi. Les autres, assurez-vous qu'Absinthe suit la manœuvre. Ah et, Absinthe... si tu peux faire quelque chose pour les arrêter, surtout te gêne pas.

- Non, non, non..., répondit l'étrange bouffon vert en secouant obstinément la tête.

  Deux secondes plus tard, Hana se sentit hissée dans les airs. Kaname. Qui se rua ensuite vers le pont en hurlant comme un fou et en bousculant tous les adultes qui se trouvaient sur son passage.
  Les cent mètres se changèrent en cinquante. Les cinquante en vingt-cinq... Hana vit Hayden et Tish qui poussaient le Green Man pour le faire avancer. Répugnant à le toucher, elles le menaient comme une vache. Aone et Kanji surveillaient les arrières, repoussant tous les adultes qui faisaient mine de s'approcher trop près.
  Une vague de crevards était dans leur sillage et envahissait l'allée.

- On l'a fait ! s'écria triomphalement Kaname lorsque, enfin, ils prirent pied sur le pont.

ENEMY Tome 2 : Le sacrifice Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang