À l'intérieur

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    Au milieu d'un brouillard qui s'évapore petit à petit, Gabrielle peine à reconnaître l'endroit où elle se trouve. La pièce lui semble grande et familière. C'est une véranda à la décoration un peu rétro. Le mobilier a l'air démesurément grand par rapport à sa taille. Comme si elle avait rétrécie. Ses propres mains aussi sont plus petites et son style vestimentaire loin de l'époque actuelle.

    Une femme entre dans son champ de vision. C'est sa mère, telle qu'elle était il y a de nombreuses années. Ça y est, les choses lui reviennent. La véranda est celle de sa maison d'enfance. Ses vêtements sont ceux qu'elle portait lorsqu'elle ne devait avoir que 5 ou 6 ans. Elle est de retour dans son passé. Un souvenir d'enfance.

    Sa mère s'accroupit à sa hauteur tandis que l'enfant tend les mains vers elle, présentant un lapereau inerte, en bien mauvais état.

    — Maman, regarde ! Il est blessé !
    — Que s'est-il passé ?
    — C'est le chat... Maman, il va mourir ?
    — Je ne sais pas chérie, mais il a l'air très mal en point !
    — Je vais l'aider moi !

    Aussitôt, la petite fille enserre l'animal. Une lueur blanche rayonne alors entre ses doigts.
L'intensité de la lumière croît puis cesse subitement. Quasi instantanément, le petit lapin se met à s'agiter, enjouant la petite fille devant la réussite de son action.

    — Gabrielle, je t'ai déjà dit de ne pas utiliser tes pouvoirs.
    — Mais maman, tu as dit que si c'était nécessaire. C'était nécessaire là ! Il allait mourir...

    Le brouillard enveloppe de nouveau les lieux et la scène s'évapore rapidement. Lorsqu'il disparaît enfin, la médecin a changé de lieu. Et de taille. Elle se trouve dans un couloir couvert de lambris clair. Au bout, une porte ouverte laisse apparaître deux adultes qui discutent avec entrain. La femme a l'air de sangloter.

    — Elle est morte ! Son mari aussi ! Ils ont été retrouvés égorgés dans leur appartement. David, j'ai peur. Et s'ils s'en prennent à nous ? Aux enfants ?

    La voix lui est familière, tout comme le prénom masculin. C'est encore un souvenir. Celui de ses parents surpris en pleine conversation, un soir, quelques années plus tard, lors d'un séjour dans leur maison de vacances.

    — J'y ai aussi pensé.
    — Ils ne doivent pas découvrir qu'elle a des pouvoirs. Ils la dissèqueraient pour les avoir.
    — Tu l'as bien entraîné. Elle sait qu'elle doit faire attention.
    — Ce n'est qu'une petite fille ! insiste sa mère avant d'apercevoir Gabrielle et de venir la rejoindre. Alors ma grenouille ? Tu n'es pas encore couchée ?

    Le manège recommence. La vapeur l'enrobant et la faisant chavirer vers un autre évènement. Un autre lieu. Un autre souvenir. Cette fois-ci elle reconnait bien l'hôpital où a séjourné sa mère. Ça, elle ne pourra jamais l'oublier. Ni l'odeur qui plane. Son père est accroupi devant elle.

    — Pourquoi je ne peux pas voir maman ?
    — Je suis désolée ma grenouille, mais ils ont déjà emmené ta maman.
    — Ce sont les méchants messieurs qui l'ont emmenée ?
    — Quels méchants messieurs ?
    — Ceux qui faisaient peur à maman.
    — Mon cœur, ta maman est partie. Elle est au ciel maintenant.
    — Ce n'est pas vrai ! sanglote l'enfant.
    — Mon petit cœur.
    — Ce n'est pas vrai. Elle n'est pas morte. Je la ressens encore.
    — Sois raisonnable ma chérie. Viens, nous allons rejoindre tes frères et ta sœur. suggère l'homme en attrapant sa fille par les épaules.
    — Maman ! se met à hurler plusieurs fois la fillette en se tortillant pour rejoindre la porte de la chambre de sa mère. Maman !

    Retenue comme il le peut par son père, l'enfant disparaît de nouveau dans une légère fumée blanche. Les voix se font lointaines et les lumières floues. La réalité a l'air de reprendre sa place, effaçant les derniers détails de son esprit. Ce n'étaient que des souvenirs, des choses oubliées depuis bien longtemps.

Les Barrières de la Mémoire 1Where stories live. Discover now