Personne ne voulait de toi, Arthur

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Traduction WP:  Vous regardez la faucheuse et lui demandez où elle vous emmène. Elle te répond: Tu as déjà été au paradis et en enfer. Maintenant, je vais te montrer autre chose.

Ses longs doigts froids au creux de ma nuque me sortirent de ma torpeur bienaimée. Mes yeux clignaient désespérément, à la recherche d'une mise au point qui ne semblait pas vouloir se faire. Tout était noir. On se serait cru sur une feuille de papier sur laquelle un torrent d'encre se serait abattu. Aucune limite entre les hauteurs et les profondeurs. Nous étions dans une mer de pétrole. Le col de mon tee-shirt compressait ma trachée et je hoquetais, crachais, tentais d'aspirer tout l'air que pouvait contenir la Terre pour essayer de remettre en marche mes poumons abrutis par la poussière. Je devais visiblement être trop bruyant car la personne qui me traînait me jeta sur le sol sans ménagement. Quand mes yeux rencontrèrent sa présence, cela suffit à rendre mes membres aussi sûrs que ceux d'un nouveau-né et je me laissai tomber lourdement sur le sol, le souffle à nouveau coupé.

Ses représentations ne lui faisaient pas honneur. Quiconque rencontrant la Faucheuse savait qu'elle ne tenait pas son fameux outil mais que cela était contrebalancé par une aura glaçante. Je pouvais presque sentir le givre se former le long de mon front qui avait laissé s'échapper quelques gouttes de sueur. Elle ne portait pas de long manteau à capuchon non plus. A vrai dire, décrire la Faucheuse à quelqu'un qui ne l'a jamais vue est comme essayer de décrire une couleur à un aveugle: une tâche absurde en elle-même. Tout ce que je peux dire c'est qu'elle était grande et que sa forme semblait s'étirer selon les besoins pour nous présenter une forme chaque seconde unique à la précédente. De main sans corps, elle s'était métamorphosée en daim. De ses orbites vides coulaient un liquide épais et visqueux. La mâchoire de l'animal se mouvait avec une fluidité stupéfiante.

- On se réveille enfin?

Sa voix était profondément perturbante, semblant mélanger des tonalités enfantines à des formes anciennes. C'était l'humanité toute entière qui parlait quand elle ouvrait la bouche.

- Vous... Vous... Vous êtes..., balbutiai-je.
- On va gagner un peu de temps. Je suis la faucheuse. Tu es un humain. Tu es mort. En avant.

La tête de la carcasse animale s'approcha de la mienne et dans mes mains dégoulina le liquide couleur charbon. Celui-ci s'évapora au contact de ma peau, me laissant une morsure de froid qui m'arracha un cri. Son crâne heurta le mien et je reculai sur mes mains et mes pieds, pris d'une panique sans nom. La douleur et la peur ne formaient plus qu'un dans mon cœur qui tabassait les parois de ma poitrine. Du moins, c'est ce qu'il aurait fait si il avait été en activité. La réalisation soudaine de ne plus sentir de battements de vie en soi n'était pourtant que le début.

- Qu'est-ce que tu cherches?

Le daim se rassembla en une goutte semblable à de l'eau claire et forma un cœur humain battant la mesure. 

- Ca?

Le cœur sembla s'exploser au sol, se rassembler et revenir au statut du daim qu'il avait pris auparavant.

- Il faudrait revoir ton vocabulaire. La mort implique l'arrêt du cœur.
- Mais je ne suis pas...

Ma voix retomba au fil des lettres pour s'interrompre dans la phrase que j'avais débutée. Je passai une main sur le côté gauche de mon visage. La sensation de brûlure par le froid s'intensifia et s'étala sur le reste de mon corps. Le camion. L'explosion. Les éclats du pare-brise qui se fichent dans mon visage. Le noir. Ma peau n'avait aucune blessure mais les souvenirs revenaient en une vague sombre qui m'engloutit.  Une main me tira de cette noyade et j'aperçus ces longs doigts fins comme des brins d'herbes, longs comme des cheveux mais dont la poigne semblait aussi puissante que celle d'un golem. La main s'arrêtait au milieu de la paume. A vrai dire, cela ressemblait plus à des doigts qui se promenaient à leur guise.

𝑳𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒗𝒊𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆𝒔Where stories live. Discover now