Octobre

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Traduction WP: "Si le monde était sur le point de s'éteindre, tu viendrais me voir, n'est-ce pas?" fut la dernière question que tu lui as posée avant qu'elle ne parte. Cela fait des années que tu n'as pas pensé à elle. Aujourd'hui, tu apprends que c'est bientôt la fin du monde. Alors que tu es assis tout seul dans ton appartement en attendant la mort, tu entends quelqu'un frapper à la porte.

C'était une journée grise comme tant d'autres en octobre. Les décorations d'Halloween étaient déjà posées, comme pour rappeler que la fête allait bientôt commencer. Nous n'étions que le vingt du mois pourtant, mais les enfants étaient déjà bien trop excités à l'idée de recevoir leurs friandises colorées. Comme chaque année, des rumeurs circulaient sur des bonbons empoisonnés, rendant la fête plus attendue encore. Des gens allaient mourir, c'était certain! Cette pensée ne faisait qu'appâter encore plus les marmots qui préparaient leurs costumes.

Au début on n'y avait pas trop cru. Une info s'était glissée parmi les intox, "la fin du monde" était sur le point d'arriver. On avait bien ri avant de retourner à notre labeur quotidien. Mais peu à peu, le ciel commença à prendre une teinte rougeâtre, un vent de tous les dieux venait faire s'envoler les citrouilles creusées. On nous avait renvoyés chez nous et ce fut avec stupeur que nous comprimes que nous ne verrions pas passer Halloween. Quand la télé s'alluma dans tous les foyers, un simple message blanc sur fond noir: "C'est fini. Il vous reste quatre heures." 

Les causes de cette réalité étaient floues, incompréhensibles pour nous, pauvres mortels. Peut-être un juste retour de bâton face à notre folie colonisatrice et impérialiste. En tout cas, nous prîmes conscience que tout était sur le point de s'éteindre. Je coupai la télévision et passa mes mains sur mon visage. J'entendais chez mes voisins du dessus un enfant hurler parmi ses sanglots. 

Prendre conscience que notre mort inéluctable est planifiée se rapproche d'une terreur sans nom. Nous, pauvres êtres misérables, composés d'un sac de sang et d'organes sens dessus dessous, comprenons que notre sentiment de toute-puissance est en fait une grossière erreur. Aujourd'hui nous allions mourir, et personne n'allait faire exception à cette règle.

Quand j'entendis trois coups sec retentir contre la porte, je remarquai que j'avais passé trois heures dans un état de sidération absolu. Incapable de bouger, incapable de penser. Un silence radio semblait habiter entre mes deux oreilles. Je me levai comme d'un sommeil ayant duré plusieurs années. Quand j'ouvris la porte, quelques secondes se déroulèrent avant que je ne lâche un prénom comme un crachat:

- Alice?
- Tu m'avais dit de venir...

La jeune femme qui se tenait devant moi, Alice Bee, était mon premier amour. Elle avait rejeté notre relation au bout de trois ans merveilleux. Je n'avais jamais eu de raisons, aucune nouvelle, elle avait purement et simplement disparu, rayée de la carte.

- Tu as dû frapper à la mauvaise porte.
- Non, attends Julien...
- J'ai suffisamment attendu de tes nouvelles quand j'étais plus jeune, merci.

J'étais prêt à claquer la porte quand elle se mit à pleurer. Elle hoquetait au milieu de sa détresse, et souffla ces quelques mots:

- Tu m'avais dit de venir...
- Quoi? Quand? Je n'ai même pas ton numéro de téléphone!
- Il y a quatre ans...

Je m'interrompis dans ma colère pour fouiller dans mes souvenirs. Oui, cela me disait bien quelque chose. Une soirée un peu alcoolisée où nous nous étions promis monts et merveilles. J'avais bien dû lui dire quelque chose comme ça. Que si le monde et l'humanité étaient sur le point de s'éteindre, je voudrais qu'elle vienne me voir.

- T'as pas pensé à ce qu'il s'est passé entre cette soirée et maintenant? Tu n'estimes pas que c'est un peu culotté de ta part et franchement irrespectueux de te pointer après ce que tu m'as fait?

Elle ne réagissait pas, semblait ailleurs. Elle avait si peu changé, ses cheveux blonds étaient coupés en un carré court et une frange lui masquait ce front qu'elle trouvait trop long. Son nez était bombé, ses yeux cernés. Ses pupilles d'un vert éclatant ne semblaient pas me regarder.

- Julien, j'ai fait deux heures et demie de route, je t'en supplie, laisse-moi entrer.

J'eus envie de la gifler, de la jeter dehors et de claquer la porte. Cependant, mes pensées affluèrent en une direction à laquelle je ne m'attendais pas. Si elle disait vrai, elle était partie plus ou moins une demie heure après l'annonce télévisuelle. Je ne pus m'empêcher de m'effacer et la laisser passer silencieusement. Un mystère me suppliait de le découvrir. Elle entra donc dans mon appartement, essuya précautionneusement ses chaussures sur le paillasson et se prépara à se lancer dans ce que je présumais être un long discours. Je la fis taire d'un mouvement de la main et l'invitai à s'asseoir face à moi sur l'un des fauteuils. J'avais rallumé la télé qui affichait désormais un compte à rebours. Il nous restait moins de trois quarts d'heure. Je lui fis signe de parler, elle se lança alors:

- Je sais que j'ai pas été réglo avec toi. J'aurais dû te voir avant de partir mais... Tout s'est passé si vite.

Elle m'expliqua longuement ses déboires, qu'elle avait dû quitter la ville en précipitation à cause d'un décès dans sa famille, et que depuis, elle n'avait pas osé me recontacter, qu'elle avait rencontré d'autres gens et que le temps passant, elle m'avait presque renié. Je n'avais jamais fait partie de sa vie. Quand je tournai la tête vers l'écran qui reflétait le ciel rouge sang, je vis qu'il nous restait moins d'un quart d'heure. Elle finit sa tirade en me suppliant:

- Par pitié, pardonne-moi. Je ne peux pas partir en sachant ce que je t'ai fait.

Je savais qu'elle attendait cela. Tout son corps le hurlait depuis le début de ses explications. Elle avait les larmes aux yeux une nouvelle fois et avait attrapé mes doigts de ses deux mains pour les serrer. Elle était prise de panique, dans un tourbillon d'angoisses qui la faisait tourner de l'œil. Je me levai sans un mot et partis vers la cuisine, la laissant seule dans le salon. Je revins quelques minutes après avec deux tasses de café brûlant. Il restait huit minutes. Le temps semblait passer à toute vitesse et l'on pouvait sensiblement comprendre que la lumière commençait à baisser. Elle était prise dans l'urgence de la situation, me regardant de ses grands yeux de biche.

- Je me disais bien que tu n'étais pas venue pour mes beaux yeux. Tu attendais quelque chose. Et ce que tu attends de moi semble bien simple, il tiendrait en quelques mots, en une petite phrase.

Je passai mes doigts sur sa main et continuai:

- Je ne t'ai jamais trouvée aussi belle qu'actuellement. Tu as l'air plus assurée qu'avant, plus mûre en un sens.
- Julien... Il reste six...
- Chut, c'est à mon tour de parler. Je disais donc, tu as l'air plus mûre qu'avant. Après tout nous étions de grands enfants quand nous avons partagé un peu de nos vies. Et j'ai envie, oui, j'ai envie de me montrer bon en cette dernière journée. J'ai envie de te pardonner. J'ai envie de laisser toute cette haine s'extraire de mon corps, et surtout, j'ai terriblement envie de t'embrasser.

Mon regard se durcit, elle pâlit brutalement.

- Mais si je t'embrassais, ce serait uniquement pour t'arracher la langue. Tu m'en demandes trop Alice. Retourne au pays des merveilles.
- Julien... Je t'en supplie...
-  C'est sûrement con. Au début de ton speech j'ai vraiment cru que tu avais changé. Mais non, tu ne viens que pour avoir la conscience tranquille. Et bien, je te le dis, tu auras à vivre tes dernières minutes sans une once de pardon. Je laisse ça à d'autres.

Il restait une minute au compteur.

- Alice, je t'aime. Tu étais la femme de ma vie.
- Julien...
- Mais je te hais comme jamais je n'ai haï quelqu'un.

La lumière était désormais minimale et quand l'explosion se produisit, je partis en paix avec l'idée qu'elle ne le serait jamais.

𝑳𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒗𝒊𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆𝒔Where stories live. Discover now