L'Auteur

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Traduction WP: Tout le monde sait que leur histoire est écrite par un auteur. Leur histoire prend fin quand l'auteur s'ennuie.

Il était tacitement accepté que le libre-arbitre nous était refusé dès notre naissance. Nous naissions de la plume de Celui qu'on ne nommait pas. Nous agissions comme s'Il n'existait pas mais, dans nos pensées, nous sentions l'encre qui poussait nos moindres faits et gestes vers une direction précise. Nous faisions partie d'un tout, un monde où chaque interaction était calculée pour nous mener à un but qui nous échappait. Nous n'étions que des pions sur une mappemonde.

J'étais quelqu'un d'on ne peut plus cliché: une sorte de hippie aux cheveux colorés qui passait ses dimanches à lire des essais philosophiques en fumant de la marijuana. Parfois, il me venait à l'idée de dévier de cette trajectoire qui semblait me diriger vers un retour à la réalité difficile et un passage à ce qui ressemblerait à l'âge adulte. Cependant, dès que j'essayais de sortir des carcans qui m'étaient imposés, je sentais une force imbattable qui me ramenait au chemin que je devais mener. Le plus difficile dans cette situation était notre incapacité individuelle à parler entre nous de ce que nous ressentions. Ainsi, l'idée que les autres étaient conscients de ce que nous vivions n'était que pure spéculation.

Comme chaque matin, je m'étais réveillée, l'esprit embrumé et le visage chiffonné en me dirigeant vers la cafetière. Le long soupir que j'expirai en attendant que le café remplisse la tasse presque à ras-bord me fit froncer les sourcils. Je ne soupirai jamais, hormis quand quelqu'un faisait une remarque quant à mes vêtements ou mes cheveux. Je passai une main sur ma joue et hoquetai de surprise. Mes muscles semblaient se mettre en marche pour la première fois et leurs mouvements étaient hachés, secoués de tremblements. Je me laissai tomber au sol, ressentant pour la première fois la présence de mon corps et du sang qui affluait dans mes veines. Que se passait-il? Je n'avais jamais ressenti ce poids dans ma poitrine, celui de mon cœur qui battait la chamade. Il était si calme habituellement mais, tel un cheval qui découvre la liberté, il galopait aussi vite et loin que possible. Je parvins à me redresser et m'accrochai au comptoir de la cuisine pour me relever. Ma première réaction fut de me précipiter à la fenêtre. Chaque matin, quand sonnaient dix heures, ma voisine, Anna, sortait par le porche avec son vieux chien aux yeux fatiguée. Les quelques secondes qui me séparaient de la position de l'aiguille sur le numéro dix me coupaient le souffle. Un grincement, je me redressai, alerte, et vis Anna dans son cardigan habituel. Mon air ahuri ne fit pas réagir qui que ce soit alors que j'étais penchée, habillée d'une simple nuisette, à la fenêtre de mon appartement. Je lançai un cri:

- Que se passe-t-il?

Mon ton témoignait d'une très grande détresse. Personne ne s'arrêta ou même ralentit. Pas un regard. Pas un seul mouvement ou tressaillement. J'aurais tout aussi bien pu me promener dans mon accoutrement présent dans la rue que rien ne se serait passé. C'était comme si j'avais été coupée du monde par une paroi et, qu'importent mes hurlements, rien ne bougeait. On aurait pu me mettre dans un bocal.

Durant cette journée, je passai par de nombreuses phases qui m'amenèrent à un point de désespoir profond. J'avais d'abord encaissé le choc d'être visiblement le seul être véritablement libre de ce monde. Je L'avais insulté comme un enfant qui découvre les gros mots. J'avais dansé de joie, j'étais sortie en pantoufles et j'avais chanté comme une demeurée. Je m'étais faite un festin de roi. Cependant, l'euphorie toucha à sa fin de façon très brutale. J'étais libre, certes, mais j'étais aussi effroyablement seule. Anna était rentrée comme à son habitude à 16 heures. Habituellement, je la croisais dans les escaliers et nous échangions des banalités sur le temps avant que je ne frotte énergiquement le ventre de son ami canin qui se laissait choir sur le sol à ma simple vue. Je me mis sur le pas de la porte et la regardai commencer à prendre les escaliers. A la huitième marche du deuxième étage, elle s'arrêta dans le vide et salua l'air qui lui faisait face. Elle échangeait avec le silence. Le chien se laissa tomber et fit des mouvements d'excitation avant que sa maîtresse ne le rappelle et qu'ils continuent leur montée. Elle passa devant mon nez sans me voir. Je pouvais même voir son air morose et empli de jugements à mon égard. Cette observation lança un blizzard sur ma joie.

𝑳𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒗𝒊𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆𝒔Where stories live. Discover now