Ils ne nous ont jamais quittés

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Traduction WP: Les gens ne perdent jamais leurs amis "imaginaires", leurs cerveaux perdent juste la capacité de comprendre qu'ils sont toujours présents.

Le jour de ses quatre ans, Néa raconta à Baluchon son premier jour à la maternelle. Baluchon avait écouté les péripéties du toboggan avec amusement et s'était même exclamé quand elle lui avait montré sa blessure de guerre: une éraflure au genou qui était liée à l'aventure de la glissade. Baluchon lui avait un peu fait la leçon et Néa s'était mise à bouder devant si peu d'esprit d'aventure. La dispute s'était finie en une embrassade affectueuse. Baluchon était son meilleur ami mais avec des qualités qu'on ne soupçonnait pas.

Un grand lapin qui la dépassait, des oreilles aussi douces que celles d'une peluche: ainsi dit on aurait pu penser qu'il en était une. Cependant, les parents de Néa n'avaient jamais acheté de peluche de lapin, encore moins de cette taille. Baluchon n'était jamais apparu à leurs yeux alors que Néa ne faisait que leur parler de lui.

"Elle est mignonne, Baluchon en plus c'est un nom sympa. Le mien s'appelait Kinou.
- Un peu ridicule non?
- Eh, on ne se moque pas des amis imaginaires!"

Car oui, Baluchon n'existait pas, du moins pour les grandes personnes. Il était le fruit d'une imagination débordante enfantine, d'un cerveau encore rempli de pensées florissantes. Les adultes avaient perdu cela avec leurs pauvres habitudes: métro, boulot, dodo. Pas de Baluchon ou de Kinou pour leur tenir compagnie.

Au fil des années, Néa rencontra d'autres amis. Baluchon fut vite rejoint par Pomme d'Amour, un mouton qu'elle se refusait à tondre, Pocket, un chat aux oreilles duveteuses et Polisson, une créature dont on ne pouvait pas vraiment deviner la race mais qui avait la particularité d'avoir une énorme moustache.

Néa fut bien entourée durant de nombreuses années mais, les mois passant, elle prêta moins d'attention à ses amis pourtant si importants à ses yeux. Elle préférait Nora, Alice et Ash. Ils formaient un quatuor qui ne cessait d'inventer de nouvelles combines pour embêter leurs professeurs de classe. Peu à peu, Baluchon, Pomme d'Amour, Pocket et Polisson tombèrent dans un oubli malheureux. Ils se concertaient tous les jours pour retrouver leur amie mais Néa ne daignait leur porter attention. Toutes ces années passant, les animaux perdirent de leur éclat, se désagrégeant dans le placard qu'elle leur avait accordé. 

Le jour de ses dix-huit ans, Néa raconta à Alice son premier jour en tant qu'étudiante à la Sorbonne. Le placard s'effaça et le quatuor duveteux devint un objet de rires et de banalités.

Néa fut brillante durant ses études et vécut les joies des fêtes de jeunesse et des alcools forts. Il lui semblait voir quelques ombres au coin du mur, des ombres aux grandes oreilles, quand elle s'affaissait dans le canapé après avoir trop bu. Ses examens passant, ses notes dégringolèrent à la vitesse de la lumière, son attention étant plus porté sur les liqueurs que sur ses révisions. Alice partit pour poursuivre ses études à Lyon. Ses autres amis peu à peu disparurent, légèrement inquiets de son état qui devenait de plus en plus critique. Elle finit également par disparaître de la Sorbonne. Ses parents n'en savaient rien, elle les baratinait au téléphone, leur racontant ses folles aventures et ses notes brillantes. Ils avalaient ces fausses nouvelles comme des petits pains, fiers de leur petite fille qui avait tant grandi. Elle avait en effet bien grandi mais sa descente sur cette pente glissante ne lui faisait plus rien. 

En réalité, plus rien n'égayait le quotidien de Néa. En réalité, Néa ne ressentait plus rien. Elle était une coquille vide et les liqueurs fruitées furent vite remplacées par des alcools plus forts les uns que les autres. Elle fixait le vide, bouteille en main, jusqu'à s'effondrer sur un canapé poussiéreux. Les moutons de saleté avaient envahi son appartement, les canalisations étaient envahies de tartre et son bureau, jadis si bien organisé, était devenu un plateau pour les bouteilles vides qui s'empilaient peu à peu.

Le cerveau de Néa se désagrégeait au rythme des gorgées brûlantes, des cernes permanentes entouraient ses yeux bleus, ses cheveux emmêlés ne formaient plus qu'un nid d'abeille. Mais, un jour qui ressemblait à tous les autres, quelque chose sauta dans les câbles bien organisés de ce chewing-gum qu'elle avait dans la tête. Elle s'était tenue le crâne et un cri digne des plus grands films d'horreur s'était arraché de sa gorge. Elle cracha, les yeux fermés, cherchant d'une main hasardeuse la bouteille de vodka entamée. Elle ne la trouva pas et sentit quelque chose sur sa paume. Quand elle ouvrit vaguement les yeux, un lapin se tenait à ses côtés et, derrière lui, une colonie de bestioles. Elle plissa les yeux avant de les ouvrir en ronds parfaits.

"Ba... Baluchon?"

Un sourire étira la bouche du lapin susnommé. Il hocha la tête. Elle tourna les yeux et revit ses amis: Pomme d'Amour avait doublé de volume de laine, Pocket se léchait la patte, Polisson se caressait la moustache. 

"Mais... Mais... Vous n'existez pas!"

Baluchon baissa le nez en secouant la tête.

"On a toujours été là. Tu nous as juste oubliés
- Je suis en train de rêver.
- Au contraire."

Il lui tendit la patte et elle caressa ses poils duveteux. Elle ne dormait pas. 

"Tu nous as manqué, Néa."

Pomme d'Amour vint se frotter à son visage, lui arrachant un rire de chatouilles, Pocket sauta sur le canapé pour se frotter à elle et Polisson l'enlaça. Elle était enfouie sous une tonne de peluches et, pour la première fois depuis longtemps, elle était enfouie sous une tonne d'amour. Elle se mit soudainement à pleurer.

"Néa?
- Oui? parvint à murmurer la jeune femme.
- On peut rentrer à la maison?"

Baluchon la regardait d'un air soucieux.

"Tu te souviens de quand tu t'étais éraflé le genou?
- Non...
- C'était le jour de tes quatre ans. Tu voulais être une aventurière, tu voulais devenir archéologue. Mais tu t'es fait mal en descendant le toboggan. Maintenant tu t'es éraflé autre part. Et je pense que tu dois nous faire confiance.
- Mais papa... maman...
- Ils t'aideront, on les connait bien. Kinou nous en avait parlé."

Dans le TGV qui la conduisait à son domicile, elle avait réservé cinq places qu'elle maintenait fermement vides aux passagers. Les autres s'éloignaient à la vue de cette alcoolique probablement dangereuse si elle se mettait en colère. En arrivant devant la porte d'entrée de ses parents, elle hésita avant de toquer. Quand son poing finit par frapper le bois lisse et que son père ouvrit la porte avant de se décomposer, il appela sa femme et emmena sa fille, la portant presque jusqu'à un fauteuil. Il ne remarqua cependant pas cette main qu'elle laissait pendre et qui semblait tenir quelque chose, ou la main de quelqu'un.

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⏰ Last updated: Jul 23, 2023 ⏰

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