Je mourrai.

24 4 3
                                    

Trigger Warning: Mort

Traduction WP: L'humanité a guéri le vieillissement. Vous êtes le dernier humain mortel et vous êtes sur le point de mourir.

C'était une belle journée pour mourir. L'éclat du soleil s'était peu à peu caché derrière l'horizon, les feuilles s'étaient parées de leurs plus belles couleurs automnales et le chant des oiseaux donnait une musicalité douce à cette soirée d'octobre. J'étais assis dans un fauteuil à larges accoudoirs, sur le balcon de mon appartement. Tout était prêt, et surtout, j'étais prêt.

Je m'étais éveillé ce matin avec la douceur de cette journée si particulière. L'odeur du pain grillé m'avait tiré de mon lit après de longues minutes à batailler avec mon corps qui craquait, mugissait comme un arbre centenaire. Après tout, j'avais quatre-vingt dix-huit ans bien tassés, la vie m'avait ouvert tous ses secrets et mes petits enfants me qualifiant de "vieux sage" m'ouvrait des secrets encore mieux gardés. J'avais appris à accepter qu'on m'aide dans la vie de tous les jours, c'était là qu'intervenait Maria.

J'aimais bien Maria. Elle était douce, bienveillante et sereine. Sa peau d'une pâleur maladive et ses yeux teintés de rouge faisaient peur à mes petits enfants. Cependant, son albinisme ne m'avait jamais tracassé plus que cela. De mon temps, on les pointait du doigt, et cela n'avait malheureusement pas changé. On pouvait bien passer plus de soixante ans dans une société en cherchant ses changements sans les trouver.

Pourtant, du changement, il y en avait eu. La vieillesse n'était plus un problème, on avait réussi à rendre l'être humain éternel. Grâce à une simple pilule à prendre tous les ans, on avait écarté la mort, on l'avait bannie du monde des vivants. On avait vacciné contre le décès tout être humain sur cette planète.

Le jour de l'annonce, le monde devint fou de joie et mon fils débarqua dans mon appartement parisien en grandes pompes, m'expliquant, les larmes aux yeux, que j'étais sauvé: la mort ne viendrait pas me cueillir. Sa joie fut altérée par mon absence de réaction, ma mise en retrait. Il m'avait demandé ce qu'il se passait et ma réponse l'avait profondément choqué:
"Tu sais Adam, j'ai fait mon temps. Je n'ai pas peur de mourir."
Il s'était étranglé de surprise et m'avait dit en roulant des yeux que ce n'était pas une question de peur, que tout le monde avait le droit à la vie. Seulement voilà, ce droit je l'avais utilisé et je ne voulais pas poursuivre l'aventure. Passant de choc à colère, il se mit à hurler que j'étais égoïste, que je ne pensais qu'à mon petit moi sans penser à la famille que j'allais laisser derrière.

J'avais donc refusé les pilules. Les uns après les autres, les médecins avaient tenté de me convaincre, mais rien n'y faisait: je voulais laisser la mort venir à moi. J'étais l'un des seuls cas recensés sur la planète. Je ne voulais pas de la vie éternelle, à vrai dire je n'en voyais pas l'intérêt.

Bien entendu j'avais déjà rencontré la mort, en commençant par ma compagne, Annette. Annette fut ma femme de mes vingt ans à mes soixante-dix où elle décéda après une longue bataille contre un cancer très agressif. J'avais été dévasté, et si j'avais eu la possibilité de rendre ma bien-aimée immortelle, je n'aurais pas hésité un seul instant. Seulement voilà, cette pensée, je l'ai définie bien après comme très égoïste. Je voulais l'avoir pour moi, et cette pensée me dérangeait. Ainsi je n'avais pas bougé de mes positions: je rencontrerai la mort, et rien ne me ferait changer d'avis.

Ce matin là, je m'étais donc levé et après m'être habillé, j'avais poussé la porte de ma chambre qui donnait dans le séjour. Depuis la cuisine ouverte, je voyais Maria qui cuisinait un petit déjeuner de roi. Et c'était bien normal, c'était le dernier que j'allais pouvoir manger.

Les technologies avaient tant évolué que nous étions désormais capables de prédire le jour précis de notre mort. Bien entendu, cette technique était devenue obsolète lors de la création du médicament AVie. Cependant, mon cas étant si exceptionnel, ils avaient calculé et aujourd'hui était mon dernier jour sur terre. Et plus encore, aujourd'hui était la dernière fois qu'un humain mourait de vieillesse. 

𝑳𝒆𝒔 𝑰𝒏𝒗𝒊𝒔𝒊𝒃𝒍𝒆𝒔Where stories live. Discover now