En haut j'me rappelle de toi

29.

— Que j'vienne avec vous au Japon ?

Nabil — T'as très bien compris

Ouais j'ai bien entendu, mais non j'ai pas bien compris. Nabil est posé sur mon canapé, en train de fumer sa clope dans mon salon bien que j'ai précisé que je ne préférais pas qu'on fume dans mon appartement, et il me demande ça d'un air nonchalant, comme si c'était évident que je vienne. J'adore le Japon et il le sait, mais de là à me proposer un voyage alors qu'on se déteste ? Enfin, je sais pas vraiment. La dernière fois que je l'ai vu c'était quand il m'annonçait et me détaillait sa haine profonde envers moi et le fait que je lui avais brisé sa vie. Donc, non, je ne suis pas sûre de bien comprendre pour tout vous avouer.

— T'es bourré ou quoi ?

Il a une tête d'agacé, comme si ça le rongeait de l'intérieur de devoir me proposer cette aventure, mais en même temps, il garde son air je-m'en-foutiste dont j'ai toujours été habituée.

Nabil — Si c'est un soucis d'argent, t'inquiète on couvre tous tes frais

— Là n'est pas la question Nabil, tu comprends bien que j'suis juste perdue

Nabil — Arrête de réfléchir, y'a aucune intention derrière. C'est juste que je sais que t'as toujours voulu y aller, prends ça comme une opportunité

— Mais attends, tu trouves ça normal de demander à l'ex qui t'a brisé le coeur, si je reprends ton discours, de venir avec toi dans un pays totalement étranger, alors que t'es censé me haïr ? Et en plus, wesh t'es en couple ?

Nabil — Ouais mon discours tient toujours, et ouais ça parait chelou. J'ai absolument aucun argument pour te convaincre de venir, dis-toi juste qu'on ira en tant qu'êtres humains lambda et non en tant qu'ex, et que j'te fais juste une fleur parce que j'adore faire plaisir à mes proches

— Je suis pas tes proches, et parmi ton entourage il doit y avoir tellement plus de personnes qui méritent d'y aller que moi

Il rigole. Je le suis dans son rire, parce que son histoire n'est pas crédible et que plus il se justifie, plus je suis perdue.

Nabil — Bon j'vais te dire la vérité, Tarik compte ramener sa copine et elle veut pas être la seule fille, du coup j'ai pensé à toi

Il a pensé à moi.

Je souris bêtement en me disant qu'il pense à moi, comme si j'étais la seule femme existante sabs la banlieue parisienne mais je me rattrape immédiatement. Nabil n'est pas célibataire putain, comment peut-il penser à moi avant sa meuf c'est juste irrespectueux !

— Ok et pourquoi moi ?

Nabil — Et pourquoi pas ma meuf tu veux dire c'est ça ? Tu veux pas arrêter de réfléchir et juste accepter putain

— Mais frère c'est juste hyper déplacé de ramener son ex au lieu de sa copine, tu réfléchis comment toi ?

Nabil — Déjà y'a pas de frère, j'suis pas ton frère, et mets toi dans le crâne que je te déteste toujours. Si j'amène pas ma meuf c'est pas ton soucis j'vais pas commencer à t'raconter ma vie de couple non plus, maintenant prépare tes putains d'affaires parce qu'on part demain

Et puis il se lève, comme si rien ne s'était passé, et se dirige vers la sortie.

— Tu peux pas décider pour moi comme ça surtout que j'te dois rien

Il m'ignore pour continuer son chemin tandis que je le suis comme un toutou. Putain qu'est ce qu'il me rend fou ce mec. Il commence à mettre ses gros pieds dans ses baskets, et quand il finit, il se retourne enfin vers moi pour me faire part de sa tête la plus blasée possible.

Nabil — C'est juste un voyage d'affaire, rien d'plus simple, on va rester une semaine pas plus et tu me verras pas. Tu sortiras comme tu veux et tu pourras faire la touriste et dépenser tout ton argent dans des goodies Pokemon et One piece de merde. Sache que j'ai encore moins envie de passer ce séjour avec toi, mais j'le fais pour Tarik, donc s'il te plaît viens et j'te promets qu'on s'calculera pas et que rien changera vis à vis de tout ç'qu'on s'est dit

Maintenant que son histoire prend sens, j'admets être moins réticente à l'idée d'accepter. J'adore voyager bien que je n'ai pas fait beaucoup d'endroits, et c'est vrai que le Japon a toujours été pour moi un rêve d'enfant. Tout est plus grand et totalement déjanté, sans parler de la Soumeya enfant encore ancré en moi qui sait qu'elle adorerait dépenser ses sous dans des peluches nulles ou des figurines. C'est vrai que j'ai grandi avec la pop culture japonaise avec les premiers animés à la télé pendant mon goûter après l'école et les jeux-vidéos. Putain de merde il sait me prendre par les sentiments. J'ai de l'argent de côté certes, mais pas assez pour qu'un séjour au Japon soit dans mes projets les mois à venir, et lui, il débarque chez moi avec son discours dénué de sens et il m'offre un de mes rêves sur un plateau sans contrepartie.

D'un point de vu externe de la situation, c'est juste irréaliste et vraiment louche. Mais sans mentir, si c'est Nabil qui propose ce genre de chose, ça devient tout de suite crédible. Parce que ça a toujours été un mec comme ça, les plans a l'improviste, impliquer des gens dans des trucs de fous sans même demander leurs avis. Ouais, c'est vrai que ça a toujours été un type comme ça. Et c'est vrai que son esprit d'initiative est un trait que j'adore chez lui.

Maintenant au vu du contexte, est-ce que je devrais accepter ?

Vous savez, malgré tout ce qu'il s'est passé entre nous, je l'ai jamais détester et je sais que ça n'arrivera jamais. Du coup étrangement j'ai toujours gardé confiance en lui, parce que, merci de ne pas lui dire, mais au fond c'est une bonne personne. C'est pas le genre de mec à te la foutre a l'envers, donc ouais son histoire de copine de Tarik j'y crois, parce que sinon, pour quelles raisons pourrait-il venir me demander de l'accompagner dans un pays super lointain et étranger ? Et puis, si ce qu'il dit est vrai et qu'on se croisera pas, je suis prête à accepter.

Notre relation aujourd'hui est simple au final, on n'est plus ensemble, il sait pourquoi je suis partie, je sais comment il l'a vécu, il n'y a plus d'ambiguïté entre nous, et je pense qu'on est arrivé à un stade où j'ai clairement admis que Nabil et moi c'était du passé, du coup, qu'est-ce qui m'empêche d'accepter ?

Il a sa vie maintenant, et moi j'ai la mienne, et elle ne fait que commencer.

Et si c'était réellement une opportunité ?

— Il est à quelle heure le vol ?