En haut j'me rappelle de toi

04.

Tarik a toujours été imposant.

Il est certes plus petit en taille que Nabil, avec un gabarit moins fort mais tout aussi prononcé à sa manière, il reste tout de même très impressionnant. Je ne sais pas ce qui joue là-dessus. Ça doit être sa prestance naturelle, il a vraiment un truc qui lui est particulier. Ou c'est peut-être le fait que son nom soit sur les lèvres de tout le monde, Tarik est quelqu'un de respecté et de craint. C'est le grand frère de beaucoup de personnes dans cette cité, et si même Nabil le prend pour modèle, c'est qu'il dégage un truc inexplicable, c'est vraiment impressionnant. 

Auparavant lors de mon idylle avec Nabil, souvenez-vous que j'avais vraiment peur de Tarik. Il me foutait la trouille. Et Nabil avec la façon dont il m'en parlait, n'arrangeait pas les choses. Tarik synonyme d'insociabilité et de mystère, c'est comme ça que je le percevais. Et bah sachez, que maintenant avec la notoriété de celui-ci, ça n'aide encore moins. Je dirais même que ça l'enfonce dans ses troubles de socialisation d'après les dires de Lazer. 

Et puis physiquement, Tarik fait peur.

Il fout la trouille. C'est pas comme Nabil qui lui, a un visage doux et agréable à regarder. Tarik tu oses à peine planter tes yeux dans les siens. Il a des traits durs et prononcés, de fines lèvres bien tracées rouge sang tandis que son regard est perturbant.

Tarik me fait peur. 

Alors, quand il m'a stoppé dans mon élan, il faut pas m'en vouloir d'avoir vu ma vie défiler. Parce que je sais ce qu'il comptait me dire. 

Tarik —  Ouais alors, j'vais être rapide et franc 

Il impose une pause de quelques secondes qu'il consacre pour rallumer sa cigarette, puis il continue. 

Tarik — J'pense que t'es au courant de comment j'protège les miens ? Que j'suis tellement dans l'extrême que ça pourrait être un défaut ? Tu sais ? 

Je hoche la tête. 

Tarik — J'ai plus l'âge de m'battre avec les meufs de Nabil, ça commence à m'péter les couilles. J'me demande où il trouve des raclis comme vous mais bref, t'es venu faire quoi ici ? Tu veux quoi ? Tu veux nous michto ? 

— Hein ? Mais non, ça va pas ?

Tarik rigole nerveusement. Il se moque de moi. Même moi je me moque de moi, j'ai perdu toute ma repartie depuis que je suis face à lui, quel échec. 

Tarik — J'sais pas il te trouve quoi wallah mais bon, les goûts et les couleurs d'mon reuf m'concernent pas. Maintenant qu'on est là toi et moi, j'vais te demander gentiment de dégager et de plus t'approcher de Nabil. T'as vu, j'suis calme là, crois-moi que la prochaine fois que j'te vois lui reparler j'serais sûrement moins gentil avec toi. Pour ma mif j'peux tuer j'pense que tu le sais et j'fais malheureusement pas d'exception homme ou femme c'est la même 

Je m'apprêtais à lui répondre, mais il me devance. 

Tarik — Maintenant comme j't'ai dit, j'veux que l'bonheur des miens. Et si j't'interdis d'aller lui parler j'sais que ça va l'rendre ouf et qu'il va se prendre la tête sur ton retour. C'est c'qu'il fait depuis un moment et j'viens d'comprendre que c'est toi qui en est la cause 

Il marque un temp d'arrêt pour jeter sa clope à moitié entamée à terre et l'écraser. 

Tarik — Bref, du coup là il est à la maison, tu vas aller le voir et remettre les choses au clair avec lui, te justifier, lui parler, ou j'sais pas moi j'm'en bats les couilles. Mais fais en sorte que ce soit la dernière fois que tu lui parles, on a assez d'soucis pour en rajouter en gérant une gamine comme toi t'as vu ? 

— Euh... 

Tarik — C'est pas une négociation, j'te l'ordonne. Et après tout ça, barre ta sale gueule j'veux plus jamais te voir 

L'arrogance c'est de famille à ce que je vois. 

— Ça risque d'être compliqué j'habite ici 

Tarik — Bah déménage qu'est-ce que j'm'en branle moi 

Je ne réponds pas, parce que ce bâtard me fait flipper et aussi parce qu'il est parti sans me regarder. J'ai envie de chialer. Je m'attendais sûrement pas à un accueil chaleureux c'est sûr, mais un truc brutal comme ça, j'étais pas prête.

Bref, on a que ce qu'on mérite. Sinon pour Nabil, il a raison. Je devrais vraiment lui parler. 

Si je suis revenue ici c'est sûrement pas pour lui, ça il faut le savoir. Donc malgré le reste de sentiments que j'éprouve à son égard, le fait de ne pas le calculer va pouvoir me rendre service pour ma vie professionnelle. Nabil est une distraction, une mauvaise distraction. Si je commence à me prendre la tête avec ces problèmes comme à l'ancienne, quand j'étais adolescente, je risque de ne plus me concentrer sur mon taffe tellement je suis une fille qui prend tout à cœur. Donc, oui il va falloir qu'on mette les choses au clair. Et le plus tôt est le meilleur moment. En plus je sais que maintenant qu'il sont célèbres, c'est compliqué de les voir ici. C'est Lazer qui m'a dit. 

Je ne suis définitivement pas prête à rejoindre mon netflix moi.

Alors, j'entre dans mon bloc, qui est aussi celui de Nabil. La cité n'a réellement pas changé, peut-être qu'il y a juste une tour qui a disparu, mais sinon les bâtiments sont toujours aussi vieux et moches, les ascenseurs sont toujours aussi en panne et les halls des blocs sont toujours aussi blindés de galériens. Il y a juste les gens qui ont changé, normal, on n'est qu'éphémère. 

Par chance, enfin peut-être pas de la chance, mais comme si c'était un signe du destin, la porte du bâtiment est ouverte. J'inspire un bon coup avant de monter les escaliers. J'arrive au seuil de la porte, et je toque. Mon jeu de poignet est tellement faible, ça se voit que je stresse. Oui je stresse. Clairement, je sais absolument pas quoi dire à Nabil. Peut-être la raison de mon départ ? Peut-être lui dévoiler tout tout tout ? Mais pourquoi faire ? 

La vraie question est : va-t-il réellement m'écouter ?  Je ne pense pas. 

Il ouvre la porte, et son visage se décompose lorsqu'il me voit. Ça annonce la couleur....  Aller Soumeya, t'as survécu au grand Tarik Andrieu, c'est sûrement pas bébé Nabil Andrieu qui va te faire peur.