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Encore une excellente soirée passée en la compagnie de Adam. On essaye de se voir une fois par semaine et ça avance plutôt rapidement entre nous. On se plaît réciproquement et on a décidé de prendre notre temps, ce qui rend le tout assez agréable. Comme à son habitude, il me dépose en face de mon bloc. Cette fois il se gare.

Adam — Bon bah c'était cool, comme d'hab

Il me regarde intensément.

— Qu'est-ce que tu regardes ? T'es déjà tombé amoureux ?

J'ai enfin l'occasion de lui renvoyer son pique. Je souris de toutes mes dents.

Adam — Ah tu m'as eu cette fois !

Il ricane, mais ça l'empêche pas de ne pas détourner son regard.

Adam — T'es belle ce soir, j'ai le droit d'en profiter vu que t'as pas l'intention de vouloir me faire un bisou

— On prend notre temps on a dit

Il exprime un soupir faussement exagéré, avant de redémarrer le moteur.

Adam — J'vais regretter de l'avoir dit ! Aller, file. On s'recapte samedi pro'

J'acquiesce en rigolant et sort de sa voiture. C'est cool, il insiste pas.
Je m'avance vers la porte de mon bloc et comme d'habitude, j'y retrouve un Nabil, accroupi. C'est devenu une routine, j'ai l'impression qu'il fait exprès d'être toujours là quand je sors avec Adam. Après je me dis aussi que c'est qu'une coïncidence, mais une grosse coïncidence quand même.

Mais bon. Ça dérange personne. Comme d'habitude, je m'assoie à ses côtés. Ça aussi, c'est rapidement devenu une routine.

— Salut l'ex !

Nabil — T'es rentré plus tard que d'hab

— C'est mignon, tu m'attendais ?

J'ai comme réponse son silence. Seul le lampadaire clignotant face à nous nous éclairait, il portait quand même une paire de lunettes de soleil. Ça lui va a ravir.

— Dis, tu m'files une clope ?

Il s'exécute, toujours en silence.

— Et un feu ?

Nabil — T'es sortie en mode clocharde du coin ?

— J'essaye d'arrêter de fumer. Tu devrais faire de même tiens

Il expire sa fumée, je comprends que c'est pas demain la veille qu'il compte arrêter.

Nabil — C'est ton excuse pour pouvoir me taxer des pe-clo

Je lui offre une tête qui s'approche de la surprise. Lui il me tend son briquet rose fuschia, j'en profite pour allumer ma cigarette.

— Comment t'as su ?

Nabil — T'es mignonne la petite fumeuse, j'te rappelle que je fume depuis plus de dix piges. Ce truc j'le connais, j'ai eu le temps de le faire et le refaire t'étais même pas née

Je souris. C'est devenu une routine. Après chaque date j'le retrouve ici, accroupi comme le SDF qu'il est. Et on parle, de tout et de rien. C'est une relation étrange mais j'aime bien, parce qu'après tout on arrive quand même à garder une certaine distance entre nous. On se parle en tant que voisins, pas en tant qu'ex. On se confie pas réellement, il ne sait pas pour Adam, même si je suis consciente qu'il l'a déjà entrevu et qu'il sait que je sors pas pour jouer aux cartes. Y'a ce genre de respect de l'intimité entre nous deux. On se pose pas de questions, parce qu'après tout, ce que fout l'un de sa vie n'est pas censé intéresser l'autre. Je crois que c'est la première fois que j'ai une relation saine avec lui.

— Alors quoi d'neuf ? C'est quoi ta prochaine destination ?

Nabil — J'sais pas. C'est pas pour maintenant

— T'as toujours peur de l'avion ?

Il sourit, et inspire une taffe.

Nabil — Si tu le dis à quelqu'un, j't'explose

— Haha, c'est oui alors. J'pensais qu'avec le temps, tu t'y ferais

Nabil — Y'a plein de choses où on se dit qu'avec le temps, on s'y fait. J'pense que c'est une légende cette merde

Son air sérieux me fait flipper. Relax mec, c'était pas si philosophique ce que j'ai dit.

— Tu parles de nous là ?

J'ai pas pu m'en empêcher, c'est sorti aussi vite que la vitesse à laquelle ça a traversé mon esprit. Son sourire timide refait surface, et ses yeux se posent sur sa cigarette dont il prend bien soin de cendrer.

Nabil — Ptêtre bien, c'est plus tes affaires

— Putain mais détends-toi, je rigole. C'est encore PNL qui te met de mauvaise humeur ?

Nabil — J'suis peace ma belle. Y'a pas de mauvaise humeur. Et non, on se repose un peu là

— Tu m'laisserais écouter votre album en avant-première ?

Nabil — Tu peux rêver

— Roh aller steuplé !

Nabil — T'aimes même pas notre musique d'abord, tu crois que tu mérites ?

— Qu'est-ce que t'en sais déjà !

Nabil — J'sais pas, t'as pas une gueule à écouter ce genre de truc

— Tu m'fais une scène de rappeur underground là ? Genre l'artiste incompris ? Sérieusement ?

Il pouffe de rire. J'avoue que son rire m'avait manqué. Quand on se voit d'habitude, il est toujours fatigué, à se lamenter sur son sort. Ça me fait plaisir de le voir rigoler comme un gamin.

Nabil — Mais t'écoutes quoi d'ailleurs ?

— Hum. Bonne question. J'crois que j'ai pas de style particulier préféré, quand j'aime un son je l'écoute c'est tout

Nabil — Vas-y toi, les gens sans personnalités aiment trop dire « ouais moi j'écoute de tout je suis trop quelqu'un de différent »

Il imite ma voix et exagère ses manières histoire de bien se foutre de ma gueule.

— Je t'emmerde déjà ! Et c'est vrai, j'aime de tout

Il rigole. Je rigole à mon tour car son rire est contagieux. Il se calme et pour la première fois de la soirée, il tourne sa tête afin de me regarder droit dans les yeux pour mieux me parler.

Nabil — J'peux te dire un truc ?

— Ouais ?

Il laisse un temps de latence, yeux se posent sur les siens. J'ai mon coeur qui se serre, sans pouvoir réellement expliquer pourquoi.

Nabil — Le vert ça te va pas

Il fait allusion à la robe verte que je porte aujourd'hui.

— Mais va te faire voir !

Nabil — J'me permets de rajouter que tu sais vraiment pas marcher en talons. Reste en basket c'est mieux

Il a pas tort. Mais je trouve ça trop sexy les talons, je veux pas m'en passer.

— Ça tombe bien parce que j'porte pas ça pour toi

Nabil — Je sais bien ça. J'suis pas aveugle t'inquiètes

Un silence s'installe. C'est dommage. C'est pour ça qu'on préférait garder nos distances, parce qu'on savait que si on y mettait un tout petit sentiment dans notre conversation, l'ambiance pesante et fidèle réapparaîtrait comme par magie. Nous sommes des ex après tout, on a compté l'un pour l'autre et d'innombrables souvenirs nous lient. Avant que je réfléchisse à comment changer de sujet pour percer cet horrible silence, Nabil se lève et s'applique pour éteindre et jeter son mégot à la poubelle face à nous. Il me refait face, sourire en coin, et comme je suis assise il me parait énorme. Le lampadaire étant derrière lui, j'ai du mal à apercevoir les traits de son visage. Il me dit :

Nabil — En tout cas t'es vachement plus rayonnante qu'avant Soumeya. Il a l'air de te rendre heureuse, et c'est tout le bonheur que j'te souhaite

En haut j'me rappelle de toi Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora