Over The Rainbow

PROLOGUE

Comment ai-je pu me laisser entraîner à ce concert ? Ma meilleure amie, Amber, est excitée comme une puce hystérique. Elle est fan de ce groupe que je n'apprécie pas particulièrement. Si leur musique me plaît, leurs paroles sonnent creux. Des phrases bateaux ponctuées de « Bébé » à tout va, et des déclarations d'amour composées de mots dignes d'un dragueur du dimanche... Je ne comprends même pas comment ils peuvent avoir un tel succès ! « C'est commercial ! Tu n'y comprends rien, Riley ! », me dirait Amber. Mais pour quelqu'un comme moi, quelqu'un qui aime manier les lettres, les modeler et les associer pour en faire une suite mélodieuse, écouter une telle daube est un sacrilège. Ce n'est malheureusement pas le cas de tout le monde à en croire l'hystérie collective qui gagne la fosse alors que les membre du groupe Dark Rainbow montent sur scène. Les cris stridents des fans plus intéressées par leur physique que je dois reconnaitre comme attrayant, que par leur musique, me percent les tympans.

Les membres saluent la foule et la folie prend possession des êtres qui m'entourent. Ça se bouscule dans tous les sens, ça hurle à en percer les tympans et une petite blonde trop enthousiaste m'écrase le pied sans me fournir la moindre excuse. Je ne réagis pas, je n'ai pas même le moindre sursaut. Je souris malgré moi. Qui aurait cru que je serai capable de me tenir debout au milieu d'une foule sans éprouver la moindre crainte ? Sans que les mauvais souvenirs ne viennent me percuter de plein fouet et ne fasse trembler mes membres ? J'ose croire que ces sombres moments sont derrière moi.

— Liam est trop beau !

Le cri d'Amber me fait revenir à moi.

— Je veux l'épouser et faire pleins de bébés !

— Comme les trois quarts des filles ici présentes, ricané-je.

— Arrête de jouer les rabat-joie et regarde bien Liam !

Elle attrape mon visage entre ses paumes pour m'obliger à regarder en direction du batteur.

— Maintenant, dis-moi qu'il ne réveille pas ton envie de pouponner !

Un grand baraqué à la tignasse rousse sourit au public en agitant la main. Je crois distinguer deux fossettes de là où je suis, ce qui lui donne un charme presque enfantin. Lorsqu'il lance un clin d'œil aux filles devant la scène, je ne peux nier l'inévitable.

— Ok, il est mignon, avoué-je malgré moi.

— Je te l'ai dit !

— Mais pas mon genre. Je te le laisse.

— Trop gentille ! Vise plutôt Noah, le chanteur, toi. Lui c'est ton style.

Je reporte mon attention sur le gars qui se saisit du micro. Ma moue dégoutée fait grogner mon amie. N'empêche, je suis une vilaine menteuse. Même si j'ai renoncé au bonheur d'être mère, ce fichu Noah me donnerait presque envie de revenir sur mes principes. Les cheveux noir corbeau, un tee-shirt et un jean de la même couleur, il dégage un magnétisme et une aura terriblement captivants. J'en reste subjuguée, comme hypnotisée par cet aimant à femmes aux allures de rebelle torturé.

Les yeux fermés, il approche le micro de sa bouche sensuelle et entame a capella les paroles d'une de leur chanson. Sa voix grave, au timbre rauque qui casse sur certaines notes, me touche profondément. Lorsque les musiciens le rejoignent, des frissons parcourent ma colonne vertébrale. L'association des deux forme une ode mystique qui vous ensorcelle en quelques secondes. Quel dommage que les paroles soient nulles à chier ! Cette débauche de mots sans profondeur m'empêche de succomber pleinement à leur talent. Quel gâchis !

Soudain, des yeux couleur océan s'ouvrent et se plantent directement dans les miens. J'en reste tétanisée, fascinée par ce regard intense mais qui dégage une tristesse étrange étant donné les paroles enjouées et totalement obscènes de leur tube le plus vendu. Il a beau tout donner pour essayer de faire croire que les mots qu'il égrène de sa voix sensuelle sont destinés à son public, j'ai le sentiment qu'il est blasé de ses propres chansons. C'est comme qu'il était affligé de répéter encore et encore, ces refrains qui restent numéro 1 des charts pendant des semaines. C'est comme si chaque syllabe laissait derrière elle une trace d'acide qui brûlait ses lèvres.

Noah ne me lâche alors plus du regard et je ne peux qu'en faire autant. Quelque chose se passe et même si je suis persuadée qu'il ne s'agit que de mon imagination qui s'emballe, je m'y cramponne comme à une bouée de sauvetage jetée en pleine mer. Toutefois, lorsqu'il se détourne vers ses musiciens avec une grimace de dégout, le fil invisible qui nous reliait se coupe comme s'il n'avait jamais existé.

Mais pourquoi s'obstine-t-il à chanter cet album s'il le déteste autant ? Je soupire. A-t-il réellement le choix ? Je suis assez grande pour savoir que ce que votre maison de disque veut n'est pas forcément concordant avec vos propres souhaits. Et pour vous faire une place dans ce métier, il faut savoir faire des concessions. Je lâche un ricanement désabusé. Je crois que je serais prête à n'importe quelle concession si j'avais la chance de mettre ne serait-ce qu'un pied dans ce monde.

Je passe le reste du concert les yeux fixés sur leur magnifique chanteur et sa voix enivrante, espérant recroiser son regard océan teinté de désespoir. Mais rien, pas un coup d'œil. C'est comme s'il ne m'avait pas vue. Et quand arrive la fin de cette parenthèse enchantée, mon excitation retombe comme un soufflet. C'est fini ! une boule se forme dans ma gorge et je la déglutis péniblement. Je tourne la tête vers Amber et constate qu'elle est dans le même état que moi : au bord des larmes. Son sourire revient en même temps que le mien lorsque Noah reprend soudainement la parole.

— Avant de vous quitter, j'aimerais vous chanter une chanson qui me tient à cœur, annonce-t-il, provoquant ainsi des hurlements de fans en délire. Il s'agit d'une chanson écrite par une personne qui m'est chère, une personne qui m'a tendu la main au moment où j'en avais le plus besoin et qui a insufflé en moi une étincelle de vie. Une personne qui m'a permis de rester debout et de poursuivre mes rêves sans jamais abandonner. Sans elle, je ne serai probablement plus là aujourd'hui. WordsofHeart, j'espère que tu m'entendras.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine alors qu'il entonne les premiers mots de MA chanson, la toute première que j'ai écrite et que j'ai postée sur mon blog. Je reste bouche bée, complètement sonnée. SongerGuest21 et Noah Simons ne sont en réalité qu'une seule et même personne. Mon ami virtuel, celui qui n'a plus donné de nouvelles depuis cinq longues années, celui qui m'a remisée au coin des souvenirs doux amers, est donc cette star planétaire qui chante en ce moment même mes propres mots. Soudain, le sentiment d'oppression revient avec une force qui me ferait presque tombée. La foule qui m'entoure semble se refermer sur moi, me faisant suffoquer. Et alors que les paroles que j'ai tant de fois chuchoté résonnent, qu'enfin elles sont audibles par le monde entier, je suis sur le point de m'écrouler sous la terreur qui s'est emparée de mon être.