𝐏𝐎𝐈𝐍𝐓 𝐕𝐈𝐑𝐆𝐔𝐋𝐄 [ 𝙴𝙽 𝙲𝙾𝚄𝚁𝚂 ]

𝙹𝚘𝚞𝚛 𝟺𝟺

Un mois plus tard.

Une brume légère surplombe la ville. Un matin tout collant et tout poisseux d'octobre, mais plutôt tiédasse. Je ne sais pas ce qui cloche mais dans ma tête, une obscurité sans nom enveloppe mes pensées aussi brumeuses que le temps à Londres. Cela fait un mois entier que je fréquente ce lycée et mon bilan n'est pas très bon... Je m'en sors avec pratiquement que des connaissances, personne ne me prête vraiment d'attention. 

— Eh les filles, il paraît que le copain de Jessica l'a trompée avec sa meilleure amie ! 

Jusqu'à présent je n'avais pas fait attention aux potins que se racontaient les filles du groupe avec lesquelles je suis attablée. Elles aussi ont l'air de m'ignorer et ça nous arrange tous je crois. L'accent un peu trop british de Veronica ne fait que rendre ses paroles encore plus insupportables. Oui, j'ai grandi en Angleterre mais mon accent n'est pas autant prononcé, et puis, comment peut-on appeler "chips" des frites ?

Les filles continuent de papoter tandis que je feuillette un recueil de nouvelles d'un certain Maupassant. Veronica le remarque :

— Tu parles français, Catherine ? 

Je hoche la tête :

— J'ai appris quand j'étais au collège, pour discuter avec la cantiniè... 

— On s'en fout, elle me coupe avant de rediriger son attention vers ses copines qui boivent leur boissons d'un air de supériorité détestable. 

Attends, c'est elle qui a posé la question, non ? 

Je m'abstient de répondre et plonge le nez dans mon verre d'eau gazeuse. Les bulles me picotent le nez et je fronce les sourcils. Mon Fish and Chips - Pardon, Fish and Fries - posé devant moi sur une assiette métallique depuis une dizaine de minutes attire mon attention. Je saisis une fourchette pour manger mon déjeuner mais après quelques bouchées, je suis interrompue par Darla, la célèbre Darla, la Darla Butacker. D'ailleurs, elle n'est même pas dans ma classe, qu'est-ce qu'elle fait là ?

— Tu ne trouves que t'as pris un peu trop de poids, Catherine ? Le soir du bal de promo, t'étais plus maigre que ça. Je parie que ta robe ne t'irai plus. 

— Elle a raison, confirme Veronica. 

Je repose ma fourchette et détourne le regard, gênée. 

— Surveille ta ligne, ma pauvre. Ou tu voudrais qu'on te vire parce que tu n'es pas dans les normes ? 

Elles voient que ma peau venait de prendre une teinte cadavérique, mes battements de cœur doublent de vitesse et je suis prise d'une nausée, et ça se voit immédiatement sur mon visage. Mon estomac est tordu de violentes crampes et je commence à avoir mal. 

— On plaisante, Cathie, c'était une blague, déclare Veronica, d'un ton sarcastique.

— Ou pas... continue Jasmine.

Son sourire me fait peur, je range mon recueil et m'excuse après avoir quitté la table, sous leur regards persistants. Je traverse le long couloir en bousculant quelques élèves au passage, bafouant de vagues excuses. L'estomac noué, le cœur en miettes, sourde aux bruits environnants. Je rejoins les toilettes, vides. C'est l'heure du déjeuner, personne ne va aux toilettes pendant la pause déjeuner. Je me réjouis de voir qu'il n'y a personne. 

Je m'enferme dans une cabine et pose mon sac. Je m'accroupis, et cette sensation est horrible. 

Je le trouvais bon ce Fish And Chips... 

La tête penchée au dessus de la cuvette, des images d'horreur me traversent l'esprit, des voix insupportables ainsi que des rires macabres me crèvent les tympans. Mon indexe et mon majeur atteignent ma gorge, j'étouffe et des gémissements semblables à des cris à l'aide rebondissent contre les parois de la cabine aux parois métalliques. Ma nausée s'accentue et je finis par vomir le contenu de mon estomac dans un bruit atroce qui raisonne encore dans mes oreilles, dans une souffrance opaque, dégoulinante... Je vomis une seconde fois, une troisième, les doigts toujours enfoncés dans ma bouche. Ma gorge et mon œsophage brûlent et mon cœur me supplie d'arrêter. La suite se fait toute seule, je continue de régurgiter mes repas jusqu'à ce que la souffrance se clôture avec un liquide jaune acide qui sort.