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Prologue

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— Dans mes songes, je me trouve dans un lac. Tout est sombre, mais à l'aide de la lune, je distingue l'eau dans laquelle je me baigne. Elle est trouble. Quel est le sens de cette vision, Prophétesse ?

Debout face à la Reine Blanche, je me retins de hausser les sourcils. Sa Majesté avait refusé de me laisser m'asseoir, aussi l'écoutai-je déblatérer sur ses rêves de la nuit debout, depuis une heure. Raide comme un piquet. Ma seule envie était de m'écrouler sur les coussins moelleux du divan, sur lesquels elle était installée.

— Des eaux troubles, dites-vous ? C'est fort surprenant.

Plus que surprenant, même. La Reine faisait souvent des songes de gloire, de réussite. Si mes prédictions n'avaient pas toujours été rigoureusement exactes, on aurait pu la croire mégalomane. Mais là...

— Que veut donc dire ce songe, Prophétesse ? Parle !

Voilà qu'elle fronçait ses fins sourcils blonds, son port de tête devenant plus autoritaire encore. Sa longue robe blanche étalée autour d'elle, elle me faisait penser aux fées de mes romans. Des fées au beau visage d'ange, qui au détour d'une sombre forêt se transformaient en sorcières au cœur noir.

— Dans votre songe, buvez-vous de cette eau ?

— Oui.

Par tic, j'attrapai le bord de mon long voile d'un blanc immaculé, pour le lisser entre mon pouce et mon index.

— Cela présage du chagrin, ma Reine.

— Du chagrin ?

Livide, elle se releva. Je posai aussitôt un genou à terre, ma robe blanche s'envolant autour de moi.

— Merci, Prophétesse.

Elle sortit d'un pas vif de ses appartements, sa colère et sa peur irritant mes sens. Lorsque la porte se referma dans un claquement sourd, j'exhalai un soupir de soulagement. Mes entretiens avec la Reine étaient toujours nerveusement épuisants.

Enfin... l'interprétation des songes ne me demandait pas beaucoup d'efforts, heureusement. Les séances de divination, en revanche, étaient beaucoup plus fatigantes. Mais pour l'heure... J'avais quartier libre jusqu'à la prochaine convocation, pour connaître les détails du présage. Elle était plutôt prévisible, au final.

Sortant tranquillement des appartements royaux, je remis bien en place mon voile dans mon dos, fixé sur le dessus de ma tête par de petites épingles. Le tissu retombait jusqu'à l'arrière de mes genoux, en vagues d'un blanc aussi pur que ma robe.

Cela ne signifiait rien de particulier. Ici, à la Cour de la Reine Blanche, le blanc était de mise, tout comme à la Cour du Roi Noir, le noir l'était. Des murs au sol, en passant par les toits et les vêtements des résidents du royaume de la Lune Blanche, tout était incolore. À croire que la souveraine avait peur des couleurs.

Je saluai les gardes en armure immaculée, postés dans le couloir. Ils ne me le rendirent pas. Dans le château, aucun homme ne le faisait. Seules les femmes étaient habilitées à me parler. À me regarder.

Soufflant sur l'une de mes boucles brunes, échappée de sous mon voile, je me dirigeai à grandes enjambées vers mes appartements. Ma seule envie était de me réfugier dans ma bibliothèque, pour me perdre dans les centaines de livres de ma collection.

— Tu devrais laisser cette mèche tranquille, Flora. Elle te donne un petit air adorable.

Je sursautai à ces paroles, prononcées tout contre mon oreille. Mon coup sur l'épaule de Carsten eut pour résultat de le faire rire.

— Dire que tu es la « douce » Prophétesse Blanche !

— Oh, tais-toi, Prince de pacotille ! Tu m'as fait peur !

Carsten m'adressa un demi-sourire, ses yeux bleus pétillants d'amusement. Ses cheveux châtains, à moitié attachés à l'arrière de sa tête, semblaient déplacés dans tout le blanc de sa tenue.

Fils de la Reine, il était le seul homme à n'avoir jamais osé me parler. Étant Prince, il pouvait se permettre plus de choses à mon égard. Je l'adorais. Il était intelligent, gentil, vaillant au combat, mais aussi d'une incroyable douceur. Un homme de conte de fées.

— Moi, un Prince de pacotille ? Ma mère t'étranglerait, si elle t'entendait dire ça !

— Elle ne peut pas, affirmai-je en reprenant le chemin de mes appartements. Je suis sa devineresse.

Il m'emboîta le pas avec un grognement amusé.

— Bon, trêve de plaisanteries. Je suis venu te dire au revoir, Flora.

— Quoi ? Tu pars déjà !? Mais tu reviens à peine de mission...

— Le Royaume a besoin de moi, soupira-t-il. Non, ne prends pas cet air triste, Flora. Je te promets de revenir vite.

— Vite, c'est une chose. Vivant, c'en est une autre.

Il soupira en m'ouvrant la porte d'entrée de ma tanière. Après un salut aux gardes en faction, je m'y engouffrai. Les lieux étaient blancs eux aussi. De la bibliothèque au couvre-lit, tout était monochrome.

— Écoute, je suis toujours revenu, non ? Il n'y a aucune raison pour que cette bataille ait raison de moi.

— Les rebelles sont de plus en plus lourdement équipés, Carsten. Tu le sais comme moi, marmonnai-je en allant à la fenêtre. Si au moins tu me laissais prédire ton avenir...

— Je te l'ai toujours dit, tes prévisions sont d'une précision effrayante, Flora.

Il me prit dans ses bras, m'embrassa doucement la tempe. Ce simple geste me serra le cœur. Il ne se permettait presque jamais de me toucher. C'était trop risqué. Si la Reine le voyait, la peine serait lourde, très lourde, pour nous deux. Le combat à venir devait s'annoncer mal.

— Savoir que je vais mourir le jour d'un combat ne va pas me donner du courage. Pas plus si je me pense invincible.

— « Le doute est le secret du véritable courage ». Je sais, tu me le dis avant chacun de tes départs, Carsten.

— Je vais revenir, Flora. Je te le promets.

Malheureusement, les Princes tenaient ce genre de promesses uniquement dans les livres.









1. La Prophétesse BlancheWhere stories live. Discover now