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Chapitre 1 : Le Saltimbanque

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Il ne revint pas. Carsten avait été assassiné par les Rebelles.

Deux semaines après l'annonce de la Reine, je pleurais encore le Prince. Je le pleurerai certainement toute ma vie, enfermée entre les murs du château de la Lune. À attendre en vain le retour du seul homme qui m'ait jamais adressé la parole.

J'avais été élevée avec Carsten. Nous n'avions que quelques années d'écart, et je l'avais adoré de tout mon cœur. J'avais rêvé de lui, rêvé d'être libérée de mes chaînes pour pouvoir devenir sa femme. Un rêve fou. Enfermé dans une cage blanche.

Désormais assise à la table de l'assemblée royale, je fixai d'un œil vide les Grandes Festivités, dédiées à la Lune.

La Reine y participait. Je ne savais pas comment une telle chose était possible, surtout avec ce sourire de pure satisfaction sur son visage pâle. Parfaitement maquillé. Elle avait perdu son unique enfant. Et deux semaines après la nouvelle de sa mort, elle faisait la fête.

Dans l'immense salle de réception, les seuls points de couleur étaient la nourriture du banquet. Les tables blanches commençaient à être salies du jus des victuailles, en une explosion de couleur douloureuse à mes yeux. J'avais vécu toute ma vie avec pour seul changement au blanc, le bleu du ciel azuré surplombant les jardins royaux. Dans ceux-ci, même l'herbe et les arbres étaient incolores, par quelque tour de magie. Alors, une pomme rouge était pour moi un trésor lumineux. Je ne pouvais me résoudre à manger celle posée au creux de mon assiette.

— Vous devez manger, Prophétesse, gronda une voix dans mon dos.

— Pourquoi ? Sinon tu vas me gaver comme une oie ? lançai-je doucement, trop bas pour être entendue des autres convives.

— Si pour vivre, je dois vous forcer, je le ferai.

L'irritation me fit regarder par-dessus mon épaule.

Un colosse se tenait à quelques pas de ma chaise, adossé au mur de la salle, les chevilles négligemment croisées. Parfaitement immobile, je l'aurais pris pour une statue s'il ne m'avait pas parlé. Si je ne l'avais pas connu depuis ma plus tendre enfance.

Vêtu d'une tunique sans manches de cuir blanc, d'un pantalon de la même texture rentré dans de lourdes bottes agrémentées de plaques de fer, il avait tout d'un guerrier. Un masque dissimulait la moitié supérieure de son visage, laissant apparaître ses lèvres et une peau mate. Ses cheveux, je ne les avais jamais vus. Il portait une coiffe à deux longues cornes, qui retombaient dans son dos à l'image de celles du plaisantin du village. Au bout de chacune des pointes, une clochette tintait.

Le Fou de Reine.

Personne ne savait qui il était ni d'où il venait. Selon les légendes, il était déjà là du temps de la Cour Unie, durant la séparation et désormais, dans la Cour de la Lune Blanche. Nul ne savait s'il s'agissait toujours de la même personne sous ce masque, mais aucun ne s'aventurait à lui poser la question. Le Fou était le guerrier sous les ordres directs de la Reine, un soldat aux pouvoirs tels qu'il gérait toutes les « sales » affaires de la Souveraine.

J'étais l'une de ces sales affaires.

— La Reine te couperait la main pour avoir osé me toucher, Joker.

Je l'appelais toujours ainsi. Lors de notre première rencontre, je jouais aux cartes avec Carsten. Son allure m'avait fait penser à celui du Joker, cette carte si puissante dans les jeux de hasard. La seule à pouvoir faire tomber n'importe quel adversaire.

— La Reine me bénirait pour t'avoir gardé en vie, Prophétesse.

Un mauvais sourire étira ses lèvres, dévoilant des dents parfaitement blanches. Elles tranchaient avec sa peau sombre.

1. La Prophétesse BlancheWhere stories live. Discover now