1. La Prophétesse Blanche

Chapitre 2 : Le Fou

— Tu me fais mal, Joker, grondai-je en tentant de me dégager.

— C'est fait pour. Tout de même, tu me fais de la peine. Je te laisse la marge nécessaire pour t'envoyer en l'air, et tu n'es pas fichue de profiter de l'occasion.

— Quoi !? Comment ça, tu m'as laissé la... Tu étais là depuis le début !?

Le masque blanc se baissa vers moi, les deux cornes de sa coiffe battant l'air dans son dos.

— Évidemment, Prophétesse.

— Voyeur.

— Exhibitionniste.

— Je ne savais pas ce que je faisais ! m'indignai-je, la honte pointant le bout de son nez.

La nuit n'était plus aussi calme. Des ordres étaient hurlés dans l'obscurité, un branle-bas de combat était organisé pour retrouver Hassane, et lui faire payer ses « libertés » avec moi.

— Pour quelqu'un qui n'y connaît rien, je t'ai trouvée bien motivée.

J'attrapai le bas de mon voile, nerveuse.

— Tu t'ennuies donc tant, Joker, pour espionner l'innocence d'une femme ?

— Je me suis toujours demandé ce que tu vaudrais au lit, Flora. Je suis peut-être le Fou de la Reine, mais je reste un homme. Te voir platoniquement fricoter avec Carsten depuis des années était pitoyable à en pleurer.

— Ne souille pas sa mémoire !

Le Joker éclata d'un rire dur, cruel. Ses doigts, toujours plantés dans ma nuque, me faisaient de plus en plus souffrir. La tête me tournait, à cause de la honte, de la colère et du dégoût. Nous passâmes devant une fenêtre miroitante à la lueur d'une torche. En croisant mon reflet, je pâlis un peu plus. Dans l'histoire, j'avais oublié de dissimuler le rubis étoilé, tache rouge sur mon corsage.

— Je parie que ton Carsten a supplié à genoux les Rebelles de l'épargner.

Le pendentif glissa dans mon décolleté, à l'abri des regards derrière le bustier de ma robe.

— Carsten ne supplie jamais personne.

Nous étions presque arrivés à mes appartements. J'allais enfin pouvoir me débarrasser de son odieuse présence, pour culpabiliser tranquillement au milieu des coussins blancs du canapé.

— Qu'en sais-tu ? Peut-être même ne t'a-t-il jamais appréciée...

— Toujours aussi grande gueule, Joker.

Un pied jaillit de l'ombre, fracassa le crâne du Fou royal. Sa main quitta brutalement ma nuque, manquant me faire perdre l'équilibre. Lui rebondit rebondit contre la rambarde des balcons, avec une force surprenante. Une silhouette atterrit souplement sur le sol devant moi, s'interposant face au Joker.

Par tous les reflets de la Lune ! J'aurais reconnu ce dos moulé dans un gilet de cuir entre mille !

— Carsten !?

— Une Prophétesse surprise par les événements ? ricana le Prince en m'attrapant par la main. Cela nuit à ta réputation, Flora.

— Tu es censé être mort ! m'exclamai-je, sans même réaliser qu'il m'entraînait dans une course folle.

Nous remontions les Balcons blancs à toute vitesse, laissant le Joker sonné derrière nous. Mon voile claquait dans le vent, au rythme rude des foulées du Prince, dont l'allure n'avait plus rien de royal. Avec son gilet, sa chemise blanche, ses bottes à revers et ses cheveux à moitié attachés, il ressemblait plus à un... Pirate.