Chapitre 24 - Refuge

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La cuisine embaumait une délicieuse odeur de pancake ce matin. Sébastien observait les gestes experts de sa femme, Baïa, qui formait des disques de pâte dans la poêle en chantonnant l'air de Devil in Disguise d'Elvis Presley. Les deux petits monstres, Suzie et Milo, se disputaient le fond d'un pot de confiture de fraise. Il n'y avait rien de plus réconfortant que ce joyeux capharnaüm familial pour démarrer la journée.

— Ze veux la tonfiture ! râla le jeune Milo, boudeur.

— Non c'est toi qui en as mangé le plus ! protesta Suzie.

— Et si vous faisiez un jeu pour vous départager ? suggéra leur père.

Il avait espéré une longue session de roi du silence mais les enfants se mirent aussitôt d'accord sur une partie de pierre-feuille-ciseaux en dix points gagnants histoire de prolonger le chahut.

— Tu ne vas pas être en retard au bureau, chéri ? s'enquit Baïa en déposant deux pancakes bien chauds sur l'assiette de son mari.

— Je les ai prévenus que j'arriverai un peu plus tard aujourd'hui, expliqua-t-il par-dessus le tintamarre des enfants.

— C'est bien de t'accorder quelques heures de relâche, tu as trop souvent la tête dans tes affaires ces temps-ci.

— Je sais, admit l'inspecteur en enfournant un demi-pancake au sirop d'érable dans sa bouche. Mais je n'arrive pas à arrêter de penser à ce suicide sordide, je sens qu'il y a quelque chose de pas net dans cette histoire.

— Tu as dit que tu ne pouvais rien faire de plus alors arrête de bloquer là-dessus, recommanda Baïa avec bienveillance.

— Comment je pourrais passer à autre chose alors qu'une pièce à conviction vient de disparaître du labo ? Juste des cendres, tu parles... Qui se donnerait la peine de voler de simples cendres insignifiantes dans un lieu hautement sécurisé ? C'est forcément plus que ça...

Perdu dans ses réflexions, Sébastien ne remarqua pas la silhouette qui approchait dans son dos. Il ne revint à lui qu'en voyant ses enfants sauter au bas de leur chaise et courir en poussant des cris de petits singes surexcités.

— Tata ! s'exclamèrent les enfants en cœur.

Suzie se jeta la première dans les jambes de Laëlle, suivie de près par son frère. Ils firent une fête de tous les diables à leur tante préférée avant de se bousculer pour lui expliquer dans une cacophonie désaccordée qu'ils voulaient tous les deux terminer le pot de confiture de fraise.

Leur partie de pierre-feuille-ciseaux était dans l'impasse depuis qu'ils avaient ajouté un puits, un lézard et un panda à leur version pour le moins unique du jeu. Laëlle les regarda avec un sourire en coin, tata avait toujours un tour dans son sac pour calmer les petits monstres.

— Suzie, choisis un chiffre entre trois et cinq dans ta tête, demanda-t-elle en dissimulant une main dans son dos. C'est fait, tu as trouvé un chiffre ?

— Oui ! s'enthousiasma la fillette, les yeux pleins d'étoiles.

— Je vais deviner le chiffre auquel tu penses...

Laëlle sortit la main de son dos, poing fermé, et la plaça devant les enfants déjà émerveillés à la perspective de ce nouveau tour. En retrait, Sébastien et Baïa essayaient de retenir une grande envie de rire.

— Quatre ! annonça la magicienne en révélant quatre bonbons au creux de sa paume.

— Ouah ! Mais comment tu savais ? s'extasia Suzie.

— C'est mazique ! ajouta Milo en tapant frénétiquement des mains.

Laëlle distribua deux bonbons à chacun des enfants puis alla s'installer devant une montagne de pancakes fumants.

— Et donc c'est moi qui gagne le fond du pot du confiture, décréta la jeune femme en s'emparant dudit pot avec un sourire conquérant.

Les enfants s'avouèrent vaincus, mais comblés par le tour que leur avait encore joué leur incorrigible tante. Sur ordre de leur mère, ils filèrent ensuite se brosser les dents tandis que Laëlle engloutissait son petit déjeuner avec un appétit d'ogre.

Sébastien et Baïa partagèrent une discussion muette à base d'échange de regards appuyés comme seuls les couples soudés savent le faire. La jeune mère encourageait son époux à nouer le dialogue avec sa sœur. Après tout, elle avait débarqué chez eux au beau milieu de la nuit, agitée et soucieuse, et elle ne leur avait pas vraiment expliqué ce qui lui était arrivé, simplement qu'elle n'avait pas envie de passer la nuit seule dans son appartement. Mais ce matin elle avait l'air d'avoir repris du poil de la bête, l'appréhension avait disparu de son regard et elle semblait avoir retrouvé son insouciance habituelle.

— Vous allez me regarder manger seule pendant longtemps ? intervint Laëlle, la bouche pleine.

Avec un sourire gêné, Baïa retourna aux fourneaux tandis que Sébastien vida son fond de café froid pour se donner l'air occupé.

— Tu as bien dormi ? se soucia-t-il.

— Très bien, confirma Laëlle. Désolée encore de vous avoir dérangés en pleine nuit.

— Au contraire, la détrompa-t-il en posant une main chaleureuse sur son avant-bras. Je suis heureux que tu sois venue me demander de l'aide, je crois bien que c'est la première fois que ça arrive.

— J'étais seulement un peu déboussolée hier soir. J'avais besoin de passer du temps dans un endroit familier et rassurant. Tout va bien maintenant.

— Tu ne veux vraiment pas me raconter ce qui t'as mis dans cet état alors ? tenta encore une fois le grand frère protecteur.

— Rien de grave, ne t'inquiète pas, le rassura-t-elle d'un sourire lumineux.

— Tu es toujours la bienvenue chez nous, précisa Baïa avec bienveillance. N'hésite pas à venir trouver refuge ici à chaque fois que tu en ressens le besoin, on laissera une clé pour toi dans l'abri de jardin.

— Merci Baïa. Est-ce que ça vous dérange si je passe aussi la journée ici ?

Sébastien et son épouse échangèrent un regard complice.

— Ça tombe bien, j'avais justement besoin de quelqu'un pour garder les enfants pendant que je vais faire des courses en ville, sourit la jeune mère avec espièglerie.

— Avec plaisir, accepta Laëlle.

La jeune femme comptait faire le plein d'ondes positives en passant la journée avec sa nièce et son neveu. Elle envisageait même de les emmener faire une balade sur le site du temple de Pluton. Elle éprouvait un inexplicable besoin de revoir l'endroit en plein jour, même si elle savait qu'il ne s'y passerait rien d'extraordinaire cette fois-ci. Se retrouver à nouveau au milieu des ruines l'aiderait peut-être à accepter l'idée que tout cela était bien réel, à moins qu'au contraire cela ne participe à accentuer encore davantage le côté fantasmagorique de toute cette histoire.


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Note : Choisissez un chiffre entre 19 et 21 pour noter cette histoire  ^_^


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Déchu (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant