Chapitre 61 - Epilogue (1 an plus tard)

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C'était jour de visite dans l'aile psychiatrique de l'hôpital central. Les couloirs étaient encombrés de visiteurs, certains égarés demandant leur chemin à la ronde, tandis que d'autres étaient déjà occupés à prendre des nouvelles de leur proche hospitalisé et déambulaient côte à côte dans l'établissement.

Un homme se détachait de la foule, plus grand d'une tête au moins que tous les autres, mais malgré sa carrure remarquable, personne ne semblait lui prêter attention. Comme à son habitude, Nith passait inaperçu au milieu des humains.

Il y avait pourtant ici un patient qui aurait pu reconnaître l'ange au premier coup d'œil, mais Léo Valefort restait focalisé sur ses chaussures sans lacets avec une constance inébranlable. Le jeune homme était enfoncé dans un fauteuil roulant, un aide-soignant l'y avait installé pour le transporter à la cafétéria en espérant qu'un peu d'animation le distrairait de son apathie habituelle, mais il n'avait pas manifesté la moindre réaction à ce changement de décor.

Depuis qu'on l'avait interné ici, Léo s'était muré dans le silence et une absence presque totale de réaction à toute stimulation extérieure. Malgré les multiples tentatives des médecins et des psychologues, sa conscience demeurait inaccessible. Aucun mortel ne pouvait comprendre l'abîme de noirceur dans laquelle son âme était empêtrée.

Dévasté par le retrait brutal et chaotique d'Achaïha, l'esprit du jeune homme n'était plus qu'un champ de débris dans lequel les lambeaux déchiquetés de son être se faisaient allègrement malmener par des vagues charriant violence et désespoir sans aucune pitié. Le néant constant qui oppressait sa poitrine absorbait tout ce qui restait de lui avec une impitoyable voracité. Les derniers résidus subsistants de la personne qu'il avait été ne pouvait que hurler en vain au cœur de la tempête, à jamais perdus dans les limbes d'un esprit en ruines.

Soudain, une lueur écarlate attira l'attention de l'œil hagard du patient. Une femme était passée devant lui, chaussée de sandales décorées de petites pierres colorées.

— Rouge, murmura Léo d'une voix éraillée à peine perceptible.

Le corps amaigri et les articulations rouillées du jeune homme s'activèrent lentement comme une vieille machinerie trop longtemps restée en sommeil.

— Rouge, répéta-t-il un peu plus fort en se penchant sur les accoudoirs de son fauteuil pour se redresser.

L'aide-soignant, qui s'était brièvement retourné pour se servir un café et discuter avec un collègue, manqua de lâcher sa tasse en voyant son patient s'animer pour la première fois depuis près d'un an. Le temps qu'il réalise qu'il ne s'agissait pas d'une hallucination, Léo s'était jeté sur une femme et l'entraînait au sol dans sa chute.

— Rouge ! Rouge ! hurla le malade de plus en plus excité alors que les cris de sa proie se mêlaient aux siens.

Plusieurs membres du personnel accoururent pour relever Léo qui se débattait comme un beau diable, malgré sa faiblesse apparente, et l'entraîner loin de la femme choquée. Personne ne s'était attendu à une crise de démence aussi soudaine de la part d'un patient d'habitude amorphe. Léo continua à hurler inlassablement le mot rouge jusqu'à ce qu'on le traîne de force dans sa chambre et qu'on lui injecte une dose de tranquillisant. Il sombra rapidement dans un cauchemar d'agonie et de tourments sans fin.

Nith ramassa la sandale que la femme avait perdue dans la débâcle et lui tendit la main pour l'aider à se relever. Elle s'apprêtait à le remercier quand elle se ravisa, il n'y avait déjà plus personne à côté d'elle, elle n'était même pas sûre que quelqu'un l'ait vraiment aidée à se relever...

Déchu (Terminé)Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz