31 - AARON

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  Les yeux fermés, je tire sur ma cigarette en appréciant la brise fraîche qui agite mes cheveux. C'est simple, ce n'est que le vent mais c'est aussi un douloureux rappel du fait que je suis toujours en vie.

J'aimerais être libre, connaître la véritable liberté, que mon coeur ne soit plus écrasé dans ma poitrine. C'est ça, j'aimerais respirer à plein poumons, ne plus jamais étouffer.

Je me revois à dix ans, assis sur le rebord de la fenêtre de ma chambre à fixer la rue. Je regardais avec envie les enfants du quartier courir derrière un ballon, leurs rires résonnaient et je me demandais à quoi pouvait bien ressembler ce sentiment de légèreté qu'ils affichaient tous. Je les regardais durant des heures, je vivais à travers leurs yeux brillants de joie.

Je paraissais libre moi aussi assis sur le rebord de ma fenêtre mais en réalité, j'étais retenu prisonnier par tant de choses. La liberté était juste là, devant moi, de l'autre côté de cette rue que je fixais tous les jours mais, derrière la porte de ma chambre, tout me rappelait que je n'atteindrai jamais cette liberté.

Je serre les dents alors que l'image de ma sœur sur le sol en train d'essayer de se protéger des coups me donne encore l'impression d'y être. J'ai encore envie de vomir alors que je suis incapable de bouger, ne pouvant que regarder. Je ressens encore la douleur des fines plaies qui parsèment mon dos, d'une certaine façon elles sont encore ouvertes aujourd'hui.

Le soir où on a fuit la maison, durant quelques secondes j'étais enfin libre, un peu comme les gamins de la maison d'en face. Mon père venait de me briser la jambe et j'avais cassé chacune de mes phalanges en m'acharnant sur lui mais, allongé sur le dos au milieu du salon, j'étais enfin libre. Je revois encore le plafond au-dessus de moi, j'entends encore les pleurs de ma mère et je peux toujours sentir l'odeur du sang mais, je n'oublie pas la sensation de liberté qui a pris possession de moi. Cet instant précieux où j'ai su que je n'aurais plus jamais à regarder mon père frapper Hope. C'était fini, pour de bon.

Puis, ça m'a pris d'un coup, à peine quelques secondes plus tard. Cette envie de vomir alors que toutes les nouvelles angoisses s'infiltraient en moi. J'ai très vite compris que la liberté que j'avais cru ressentir, je ne pourrais en fait jamais l'avoir. Mon esprit resterait toujours bloqué dans les dix-sept premières années de ma vie, je l'ai su telle une évidence alors que j'étais encore allongé au milieu du salon. J'ai fermé les yeux priant pour mourir, je ne voulais pas sortir de ce salon vivant parce que je savais qu'une partie de mon âme y serait enfermée pour toujours et m'empêcherait de vivre. J'ai espéré de tout mon coeur que mon père se réveille et m'achève mais ça n'est pas arrivé.

Tous les jours qui ont suivis j'étais en colère. En colère contre lui, contre moi-même, contre tout le monde. J'étais en colère parce qu'on m'obligeait à ouvrir les yeux un jour de plus. Ce n'est pas mon genou qui me faisait le plus mal, c'était cette horrible obligation de devoir se lever et vivre une journée de plus alors que je ne le voulais pas. Bordel, qu'est-ce que j'aurais aimé que tout prenne fin ce fameux soir.

C'était il y a presque huit ans et j'ai toujours aussi mal, la douleur ne s'est jamais atténuée, les cauchemars n'ont jamais cessé. Il est toujours là, pas loin, il me hante tout le temps. Je le vois partout mais surtout en moi. Je sais que je ne m'en détacherai jamais, comme le vide au creux de ma poitrine qui prend de l'importance au fil des jours. Cette impression que mes émotions s'estompent, perdent de leurs couleurs, cette impression de se noyer sans jamais pouvoir remonter à la surface.

Quand je ris, le vide me rattrape, il se cache derrière mes sourires. J'essaye de repousser cette sensation de lourdeur qui pèse sur mes épaules, toutes ces idées noires qui me donnent envie d'en finir pour ne plus avoir à subir un jour de plus mais, cette sensation est bien là. Je sens cette immense tristesse dans mon cœur à toute heure, elle me rappelle toujours à l'ordre notamment quand je crois enfin apercevoir une zone de quiétude. Elle revient toujours à un moment ou à un autre, même quand je pense l'avoir semée.

Tome 3 : LOVE MEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant