Déroute - partie 3

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RYRN


Le lendemain matin, père était soucieux. Il prévoyait d'annoncer officiellement sa décision de marier Svein à la fille Velt, malgré les tensions qui sévissaient déjà. Je trouvais le conseil un peu naïf d'avoir cru jusqu'ici qu'il reviendrait sur cette promesse faite dix ans plus tôt. Désiraient-ils réellement mettre en danger l'alliance avec le nord pour une histoire de coutume ? Les nobles jouissaient de privilèges, comparés au peuple, qu'ils devaient bien payer d'une façon ou d'une autre. À mes yeux, les mariages arrangés restaient un de ces moyens. Si père décidait de m'en imposait un, je m'alignerais à sa décision, pour le bien d'Askaz.

Quand il se leva, je lui souhaitai bonne chance. Il me tapota l'épaule sans un mot et s'en alla, Markhar dans son ombre. Pour ma part, je saluai mère et fonçai vers la Möterta. Ou plus précisément, les caveaux qui s'étiraient sous le mont.

À mon arrivée, rien ne semblait différent de la vieille, hormis l'homme qui m'accueillit. Je lui expliquai ma venue et le questionnai sur l'examen que devaient subir les cadavres de mes agresseurs, ou plus précisément, ceux de Listair.

— Les lamias sont passées, en effet, m'assura-t-il, glissant brièvement une consigne à un apprenti de passage.

J'attendis, mais l'homme ne dit mot de plus à ce sujet. Son travail occupait son esprit plus que ma présence.

— Et quel a été le résultat ? insistai-je.

— Oh ! je l'ignore, s'exclama-t-il.

Il me coula un regard dénué d'émotion, puis en retourna au nettoyage de son cadavre sur pierre. Avec une douceur maîtrisée, il retirait le sang coagulé d'une large plaie au torse, épongeait la zone, pour ensuite recoudre les peaux. Je trouvai ce travail bien fastidieux et inutile pour un corps qui serait ensuite brûlé. Mais les Askaziens tenaient à honorer leurs morts d'un dernier bain pur, avant que leur âme les quitte pour se réincarner et poursuivre leur apprentissage de la vie.

— Qui pourrait me renseigner ? m'enquis-je dès qu'il leva les yeux du corps.

— Le responsable, mais il est absent. Peut-être un de ses assistants encore en service à cette heure a assisté à l'examen.

Je l'espérais. Une chose était sûre, ce passeur avait mieux à faire que de répondre à mes questions. Je le comprenais, mais en même temps, il était culotté d'ignorer son nïrsslya de la sorte. Personne n'aurait osé en faire de même envers un prince rüdien ou dorsükien.

— Il est vrai que le prince Erich de Velt n'était pas ignoré par les rangs inférieurs? ricana Garm.

Sa boutade me fit l'effet d'une claque glacée. Erich de Velt n'aurait en effet jamais pensé ainsi. Le dragon parlait plus que moi-même. Me rendre compte de ce changement tant d'années après ma renaissance me laissait un arrière-goût amer dans la bouche.

Entre ma fausse précocité et ce changement de personnalité, comment le secret de mon âme intacte restait-il enfoui ? Certes, pour imaginer un tel scénario, dans lequel je me souvenais du passé effacé, la personne devait elle-même avoir conscience du jeu des dragons. Mais Ahédan correspondait au profil...

Si Vess était choisi pour traiter mon problème d'âme, je devrais veiller qu'il ne précise pas à mon père le détail qui m'avait obligé à révéler la vérité à Listair. Garm et lui étaient déjà deux personnes de trop, même s'ils jouissaient de ma plus profonde confiance.

Dans la salle réservée aux cadavres ennemis, des effluves aigres commençaient à envahir l'espace. Il devenait urgent de traiter ces corps.

— Nïrsslya, me salua un homme en bure claire, dissimulé derrière l'angle naturel formé par la roche.

Prince et Dragon - Tome 3 : NyrsslïaWhere stories live. Discover now