Page cent-soixante-douze

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Lundi 9 décembre 2019

Je suis au lycée, le professeur d'histoire est absent, on a deux heures de libres devant nous. J'ai trouvé une salle vide, je ne sais pas si j'ai le droit d'être là. Je pense que oui, sinon la porte serait fermée à clefs.

Je voulais t'écrire hier, mais j'étais trop fatigué, heureux et aussi un peu perturbé, pour le faire.

Louis m'a fait une surprise vendredi soir.

Il m'attendait à la maison quand je suis rentré des cours. Il m'a dit qu'on partait tous les deux pour le week-end. Papa et maman étaient d'accord, d'ailleurs maman m'a aidé à préparer mon sac, sans elle j'aurais oublié ma brosse à dents. Je ne sais pas comment il a fait pour les convaincre.

Quand il m'a ouvert la portière passager de sa voiture, j'ai eu quelques secondes d'hésitation. Je crois que j'avais besoin de réaliser que cette fois, ce n'était pas pour qu'on s'installe sur la banquette arrière, pour discuter ou pour s'embrasser.

Il a hoché la tête avec un sourire confiant, comme s'il avait lu dans mes pensées. Je me suis installé et j'ai attaché ma ceinture. Quand il est monté à son tour, je lui demandé s'il était sûr de le vouloir, qu'on n'était pas obligé. Je sais à quel point ça a été dur pour lui de reconduire et jusqu'à présent, il ne se sentait pas prêt de prendre le volant avec un passager. Avec une personne assise à la même place qu'Evan. Je ne voulais pas qu'il se force. Il a pris ma main, et il a embrassé mes doigts en me disant que tout allait bien.

J'ai fait un dernier signe à papa et maman qui attendaient devant la maison, puis on est parti.

Les premières minutes, je ne l'ai pas quitté des yeux. Je n'arrivais même pas à parler, je le regardais conduire, je ne pouvais rien faire d'autre. Pour plein de gens, prendre sa voiture quand on a son permis, c'est simple. C'est quelque chose de banal, d'habituel. Pour Louis, tu sais à quel point c'est différent. C'était presque irréel pour moi, d'être assis à côté de lui. Tu ne peux pas imaginer le sentiment de fierté que j'ai ressenti.

Il est prudent, bien plus que la moyenne. Ses yeux regardant partout, il respecte toutes les limitations de vitesse, et à chaque feu, chaque stop, chaque intersection, il fait encore plus attention.

Au bout d'un moment, il m'a ramené à moi en me demandant, si je comptais lui demander où est-ce qu'on allait, ou si j'avais l'intention de jouer les examinateurs du permis de conduire tout le trajet. Il avait un petit sourire en coin, amusé.

Je secoué la tête pour retrouver mes esprits. Je lui ai dit que j'étais fier de lui, il m'a répondu qu'il le savait. J'ai aimé sa réponse, parce que ça voulait dire, que lui aussi, il était fier de lui. On ressent souvent les mêmes choses. Quand je réussi quelque chose et que je me sens fier de moi, je sais que Louis sera fier de moi lui aussi, avant même que je lui dise.

Il m'a emmené dans sa ville natale. La ville où il est né, où il a grandi et où son père et Evan sont enterrés. Samedi c'était l'anniversaire de son père, il aurait dû avoir 47 ans. Il m'a dit que depuis sa naissance, il n'a jamais manqué un seul de ses anniversaires. Même après sa mort, Evan et lui allaient le voir au cimetière. L'année dernière il y est allé sans personne, pour la première fois. Cette année, il n'avait pas le courage d'y retourner seul, encore une fois.

Dans ma tête, j'ai eu l'image de Louis et Evan se tenant debout devant une tombe, à côté l'un de l'autre. Et l'année d'après, j'ai imaginé Louis, tout seul, se tenant debout devant deux tombes.

Bien sûr, il m'a dit que j'avais le droit de refuser, qu'il ne m'en voudrait pas, qu'il comprendrait. Il sait à quel point ça a été dur pour moi de venir te voir au cimetière. Il ne voulait surtout pas m'imposer quoi que ce soit, ou pire encore, me demander quelque chose qui pourrait me faire du mal. Il m'a dit que même si je restais dans la voiture pendant qu'il y serait, ça lui ferait du bien de me savoir pas loin de lui.

Sans ToiWhere stories live. Discover now