Chapitre 15 : Nouvelles rencontres

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Quel plaisir d'arpenter ces rues, qui se font vides en cette heure tardive ! Voilà qu'enfin je peux profiter de ces belles couleurs qui peignent les façades, admirer les diverses architectures des bâtiments. Songeuse, je repense alors à l'interview. Mon roman s'envolerait-il vers la célébrité avec cet entretien ? Les yeux plissés, je revois sa première page de couverture et secoue négativement le menton ; je ne peux laisser un roman interdiewé avec une couverture aussi miteuse.

Je lève les yeux vers les édifices qui m'entourent : il doit bien avoir là un magasin proposant ses services de designer.

Mes yeux se posent sur les différents écritaux, plissés, et sautent d'un bâtiment à un autre pour y trouver un signe quelconque qui m'indiquerait une frabrique à pages de couvertures. Je pouffe ; quelle étrange expression. "Une fabrique à pages de couvertures" ! Qu'il m'arrive d'être stupide des fois, c'est exaspérant...

Je me stoppe tout net et lis à voix haute, un grand sourire grimpé jusqu'aux oreilles :

-Commandes de Covers, c'est parfait !

Je vire vers le bâtiment, qui se colore se blanc et de bleu ; je pousse la porte et trouve en face une caisse, sur laquelle s'est assoupi un jeune homme.
Sur les côtes, des sièges se font vides, comme tristes de n'avoir personne à soulager de leur attente.

Je m'avance vers le jeune homme et lâche une toux, peu certaine que cela le tire de son sommeil.

-Hein, quoi ? s'écrie-t-il en se redressant brusquement, les yeux exorbités.

-Bonjour, je le salue, pour signifier ma présence.

Il baisse les yeux dans ma direction et, surpris de ne pas m'avoir vue, s'excuse :

-Je suis désolé si je vous ai fait attendre...

-Ce n'est rien, dis-je en agitant la main. Je viens pour savoir s'il serait possible de commander une cover...

Il se fait soudain droit et tire une paperasse d'un tiroir plus bas :

-Avec plaisir ! Il me faudrait simplement quelques informations sur votre histoire.

Je hoche la tête, attendant ses questions.

-Il me faudrait... votre nom et prénom. Le titre de votre histoire, s'il y a un sous-titre, les personnages que vous voudriez sur la cover, ainsi que l'atmosphère générale, le lieu ou encore des éléments que vous voudriez voir apparaître.

-Je m'appelle Anora Ellhor. Mon histoire s'appelle Le Clan des Feuilles, il n'y a pas de sous-titres. Ensuite vous vouliez quoi... ? A oui c'est vrai, les personnages. J'aimerai y voir apparaître trois chats : une femelle noire aux yeux gris, un mâle gris à poil longs aux yeux bleus et une femelle noisette aux yeux verts et aux pattes blanches. Pour le lieu, de préférence une forêt. Et pour tout le reste, mettez ce que vous voulez, ça m'est égal.

Il termine de noter quelques secondes plus tard, avant de relever les yeux dans ma direction :

-Merci beaucoup ! Je me présente, je suis Serp.

Il me serre maladroitement la main et fait un détour pour m'entraîner sur les sièges ; mal à l'aise, je le laisse faire pour ne pas qu'il se vexe.

-Vous venez d'où ? Je peux te tutoyer ?

-Oui, moi aussi ?

-Bien sûr. Pour ma part je viens de RienVille, comme tout le monde je présume... là bas, étant enfant, j'ai dû suivre un psy.

-Oh, je suis désolée pour toi... je réponds simplement, de plus en plus mal à l'aise par la brusque tournure de la conversation.

-J'ai rencontré plein de gens sympas sur l'assossiation qui aidait les enfants qui se sentaient mal comme moi. D'ailleurs, l'une d'entre elle vit ici maintenant : elle s'appelle Miss Noa.

Je déglutis ; combien de temps cela va-t-il encore durer ?

-Ah, vraiment ? je réplique, un semblant de sourire aux lèvres.

-Elle écrit de supers romans ! ajoute-t-il, hystérique.

Je me relève soudainement ; je dois quitter cette pièce avant de m'emporter.

-Je vais aller voir ça, dis-je précipitamment. Bonne soirée !

Je détale hors de la boutique et savoure avec un soulagement infini l'air frais qui me fouette le visage ; lorsqu'enfin l'agacement s'évapore, je lâche un long soupire. Pourquoi faut-il donc que je tombe sur des personnes aussi sociables et aussi collantes ? L'impression que Serp s'agrippait à moi telle une huître affamée me fait lâcher un frisson, et je m'empresse de m'éloigner le plus possible de cette ruelle.

De retour sur le parking, je grimpe au volant et tombe sur mon dossier ; quelle journée éprouvante !
Si l'imprévisible c'est chargé de la guider à chacune des nouvelles tournures, cela n'a pas empêché ma joie de demeurer présente tout son long. Enfin, ma toute première interview !

Les choses vont si vites, et cela me comble d'un bonheur sans limites. Une gaieté à l'étincelle éternelle au creux de mon ventre ; un sourire s'étale sur mes joues et je lâche un cri de joie. Rien ne peut gâcher ceci, pas même ma désagréable aventure avec Serp.

***

Mes affaires récupérées, je grimpe à nouveau dans le ventre chaud de ma voiture ; la nuit tombe et il me tarde de rentrer au creux des bras de mon logis, pour m'y blottir avec Flocon.

Cependant, lorsque les grosses lettres lumineuses de la Librairie passent à ma gauche, je ne peux m'empêcher de m'arrêter. La curiosité me pousse à quitter le véhicule pour pousser les portes vitrées, avant d'aborder la libraire :

-Bonsoir. Qu'avez-vous sur Miss Noa ?

-Je ne suis pas Annuaire, Madame, répond-t-elle comme machinalement.

Je lève les yeux au ciel pour me corriger :

-Qu'a écrit Miss Noa ?

La libraire pianote sur les touches de son ordinateur quelques secondes, avant de se tourner à nouveau vers moi :

-Étage deux, bibliotèque trente-et-une, étagère trois.

Je la remercie d'un signe de tête et fonce vers les escaliers en colimaçon : je grimpe les marches quatre à quatre et cherche des yeux la bibliotèque désignée par la libraire. Je l'aperçois alors et m'en vais lui faire face. Je suis du doigt les livres de l'étagère trois avant d'apercevoir le nom recherché.
Je tire le premier qui me vient sous la main et lis brièvement le résumé. Elle raconte là le harcèlement qu'elle a vécu enfant, son ressenti et son opinion.

Je démarre la lecture, lis les premiers chapitres. Cependant, lorsque mes yeux peinent à suivre le rythme et s'alourdissent de fatigue, je décide de conclure là. J'attrape un stylo pour écrire un agréable commentaire, expliquant qu'elle était très courageuse et qu'il ne fallait pas baisser les bras.

Je repose le livre et m'étire longuement. Je redescends plus lentement, deux poids traînant mes pieds sur le sol.

Quelle journée épuisante.
Avec un sourire, je me dis que jamais à WhatSapp je n'aurais pu compléter si bien mon temps de travail.

Wattpad -tome 1- / Terminée /Where stories live. Discover now