Chapitre 17 : Rivière Noire

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Pleurs.

Insomnies.

Rage.

Douleur.

Tout s'enchaîne et s'empire au fur et a mesure des jours. Un mois tombe, dur sur mes épaules voûtées par la fatigue. La pluie glisse sur les vitres délavées de mon logis, aussi nombreuses que mes larmes. Pourquoi se morfondre pour deux pauvres abonnés et un petit conflit ; je n'en ai pas la moindre idée.

Peut-être est-ce la pression accumulée de ces derniers mois qui s'abbat sur mes émotions en furies.
Mais quelque soit la raison de ma dépression, je n'ai nulle envie d'aller chercher plus loin pour la trouver. J'ai simplement mis en pause toute activité d'écriture et de lecture, résumant mes journées à sangloter pour un rien, à tomber de fatigue sur le canapé et à manger des plats réchauffés.

Malgré mon téléphone qui ne cesse de vibrer, je n'y jette pas un seul coup d'œil, de peur d'y voir le nombre zéro s'afficher sur mon nombre d'abonnés ou de voir insultes et reproches de la part de Miss et Serp. Sans surprises, ce sont ces deux là qui ont cessé de me suivre, pour faire redescendre mon chiffre à quatre. Retour à la case départ...

Avachie sur mon canapé, Flocon sur mon dos, ronronnant comme à son habitude, je suis des yeux les courbes noires de mon carrelage. Les minutes passent, lentes, douloureuses, comme toutes les précédentes.

Mon félin s'acharne à lâcher de puissants ronronnements pour me consoler, mais rien n'y fait. Et ce depuis un mois.

Soudain, la sonnette retentit et me fait bondir sur mes pieds ; l'échine de Flocon se hérisse tandis qu'il vient se blottir sous le canapé et que je titube vers l'arrière, de grosses tâches lumineuses dansant devant mes yeux.

Reprenant peu à peu mes esprits, je me traîne jusqu'au vestibule où je jette un coup d'oeil par le trou de la porte : une jeune femme aux cheveux roses se tient là, un immense sourire accroché aux lèvres. Elle se dandine sur place, comme surexcitée ; j'ouvre la porte et elle pousse un hurlement de joie :

-ANOOORAAAAAA !!!

Les yeux écarquillés, je chancèle légèrement devant ce cri soudain.

-Bonjourmoic'estRivièreNoiresitusavaiscommejesuiscontentedeterencontrerenfinJESUISTAPLUSGRANDEFANNNNNN ! dit-elle précipitemment en sautant littéralement sur place.

Je cligne plusieurs fois des paupières avant de demander d'une voix rauque :

-Merci mais euh... on se connaît ?

Elle se calme et son regard redescend vers moi :

-Oh... tu n'as pas l'air d'aller bien.

Elle se fait soudain toute petite, et ses cheveux semblent s'applatir sur eux mêmes.

-Non non, ça va, je la rassure, consciente de ne pas être vraiment crédible.

-Ça va alors ! se réjouit-elle, soulagée. Je m'appelle Rivière Noire, mais tu peux m'appeler Rivière !

-Enchantée Rivière, je souffle tandis qu'elle enchaîne :

-Je suis ta fan numéro 1 ! s'extasie-t-elle. J'ai lu Kenfu et la Prophétie du Dragon de Jade en entier, et j'adore ! C'est officielement mon livre préféré. Je suis venue là pour rencontrer mon auteure préférée, surtout en voyant qu'elle n'était plus présente à l'Industrie ou à la Librairie, ni même sur le marché...

Un sourire s'étale sur mes lèvres pour la première fois depuis ce long mois ; mes yeux s'embuent de larmes et je sers Rivière dans mes bras, le cœur débordant de joie.

-Merci, je murmure, véritablement reconnaissante.

Surprise, elle m'entoure ensuite de ses bras pour me tapoter gentiment le dos :

-Ce n'est rien. Mais tu es malade ?

Nous nous séparons et je secoue négativement la tête, avant de me raviser :

-Oui, c'est ça, je mens, quelque peu honteuse. Je commençai à peine à m'en remettre...

-Tant mieux alors ! sourit Rivière. Parce que j'ai vu que tu ne connaissais pas grand monde ici, et j'avais envie de te présenter quelqu'un qui en connaît beauuuuucoup !

Quelques secondes se tassent tandis que je peine à réaliser ce que ma nouvelle connaissance vient de dire.

-Oui bien sûr, je finis par répondre, affichant à mon tour un sourire. Je te suis.

-Super, on va prendre ma voiture ! s'écrie-t-elle, à nouveau surexcitée.

***

Tandis que les pâtés de maison défilent par la fenêtre, j'observe Rivière danser sur une musique de pop entraînante, les mains crispées sur son volant violet. Voilà une vingtaine de minutes que nous roulons, et je ne sais toujours pas où nous nous rendons.

Mais Rivière vire soudain à droite, débouchant sur une rue pavillonnaire aux allures chics. Nous nous garons et ma chauffeuse bondit hors de sa voiture, me faisant signe de la suivre. J'obéis, sans toutefois y mettre autant d'entrain.

Elle m'entraîne jusque sur le seuil d'une charmante maisonnette ; les volets jaunes poussins m'étirent un sourire, tandis qu'un bruit sourd de musique parvient à mes oreilles.

-Brumy ne changera jamais... sourit Rivière.

Elle pousse la porte sans même frapper, sous mes yeux écarquillés. À l'intérieur, la fête bat à son plein. Des centaines se personnes dansent et se déhanchent, suivant le rythme de la musique.

Une grimace se colle sur mon visage ; le bruit incessant s'accroche à mes tympans pour les frapper de coup de marteaux puissants.

Rivière m'attrape le bras pour me tirer jusqu'à l'extérieur, où une trentaine de personnes bondissent et hurlent dans la piscine. Totalement perdue et prise de vertiges sous la foule qui m'oppresse, je laisse ma guide nous entraîner jusqu'à l'endroit où quelques personnes font cuire des saucisses. À leurs côtés, une jeune femme aux cheveux d'un orange vif hurle, totalement entraînée par l'ambiance générale de la fête.

-Brume ! la hèle Rivière, en haussant le ton pour couvrir tous les autres bruits.

L'intéressée se tourne vers nous, ses beaux yeux bruns papillonnants dans notre direction :

-Rivière, tu es venue !

Elle lâche un rire avant de poursuivre :

-Tu ne manques jamais une occasion de faire la fête, toi !

Ma guide se joint à la blague :

-Plutôt mourir ! Mais regarde plutôt cette gentille personne que je t'ai apporté... c'est une écrivaine aux talents fous qui n'a que quatre abonnés !

Comme horrifiée, Brume s'empresse de sortir son téléphone de sa poche ; quelques secondes plus tard, le mien vibre.

-Et voilà, cinq à présent ! rit-elle.

Elle m'accorde alors un sourire chaleureux :

-De rien ! Tout le monde mérite au moins un abonné, alors ce sera moi ! Surtout fais comme chez toi, et profite à fond de ta vie à Wattpad !

Un sourire ému s'étire sur mes lèvres ;  Brume a vraiment l'air d'une personne admirable.

-Merci, je souffle d'une voix à peine audible.

Mais elle semble lire sur mes lèvres et envoie son épaule frapper la mienne pour m'encourager à danser. Rivière fait de même et, le cœur à nouveau libéré, je me laisse aller sur la musique.

Wattpad -tome 1- / Terminée /Where stories live. Discover now