LA DANSE DES ÉMOTIONS

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L'inquiétude dans le regard de Maude mêlée au mépris sur les visages qui l'entouraient furent la première chose qui frappa Astrid à son réveil. La douleur qui s'élançait à l'arrière de son crâne fut la seconde, la perfusion plantée à son bras gauche fut la troisième. La chaleur réconfortante du soleil passait à travers les stores en bois de sa chambre d'hôpital pour se déposer sur sa peau.
Elle sentit la main de Maude attraper la sienne alors que son champs de vision se camouflait sous les larmes, elle n'avait pas rêvé de cette terrible explosion.

- Est-ce qu'ils sont morts ? Pleura Astrid.

- Pas tous ma chérie, répondit Maude d'une voix basse, mais certains le sont.

Après un silence, un cri de tristesse s'échappa du corps de la blessée et résonna dans l'hôpital. Le matériel médical s'éleva dans la chambre accompagné par le bois des stores, les fleurs posées près de son lit et de la perfusion qui s'arracha de son bras.

- Si elle ne se calme pas je vais devoir la sédater, dit sèchement une infirmière à Maude.

- Astrid, calme toi, je t'en prie, s'exclama la tutrice, pleure autant que tu le peux mais fais attention à ton pouvoir, tu risques de nous blesser.

Dans un écho de sanglots retentit un concert de percussions provoqué par les objets qui retombèrent en retrouvant leur gravité. Astrid avait la sensation d'être écrasée par le poids de ses propres os, les battements de son cœur remontaient jusque dans sa gorge dans laquelle ses émotions s'entortillaient. À aucun moment de sa vie elle n'avait ressenti un tel étouffement, mourir avec ses amis aurait été plus simple et moins douloureux que d'être épargnée. Ne plus les voir car elle faisait le choix de partir était une chose, mais ils lui avaient été arrachés, à elle et à leurs familles.

-Pouvez vous nous laisser un instant? Demanda Maude au corps médical, j'aimerais que l'on passe un instant en famille.

    Les médecins et infirmières quittèrent la chambre dans le silence et le dédain, « Pas plus de dix minutes. » avait lancé une blouse bleue en franchissant la porte. Maxim, qui était resté dans un coin de la pièce, s'approcha du lit de sa presque sœur et lui embrassa la joue avant d'essuyer une larme qui coulait sur sa tempe. En apercevant son regard transparent, Astrid sût immédiatement ce que l'adolescent s'apprêtait à faire.
    Il appliqua le dos de sa main contre le front de la patiente puis, dans une bourrasque d'air chaud, il éleva son bras vers le ciel. Un vent aussi violent que furtif ouvrit la fenêtre et fit valser les feuilles des arbres emportant dans sa danse les émotions d'Astrid. Pas seulement la tristesse, chacune de ses émotions. La colère, la joie, la mélancolie, la peur. La magicienne n'était plus capable de ressentir quoi que ce soit.

- Elles reviendront, dit Maxim d'un air désolé.

- Je sais. Répondit simplement sa sœur.

- Astrid, ils pensent que tu es responsable s'exclama la tutrice. L'explosion. Ils pensent que c'est de ta faute, enchaîna-t'elle face au regard interrogatif de sa demi-fille. Toute à l'heure, lors du verdict, tu ne devras pas seulement faire un choix, tu devras aussi les convaincre que tu n'as rien à voir avec cette tragédie. Ils pensent qu'Arietis est responsable de l'attaque, d'ailleurs si tu choisis d'aller là-bas, je ne suis même pas sûre qu'ils te laisseront y retourner. Si la guerre revient et que tu choisis les Bélier, tu seras sûrement faite prisonnière.

- Toute à l'heure ? Releva seulement Astrid.

- Oh, ma chérie, tu as dormi une journée et une nuit. Ton audience est dans une heure, expliqua Maude désolée.

    Habituellement, la magicienne angoissait face à l'imprévu, cette fois-ci elle n'en était plus capable. Elle comprit alors que c'était dans cette chambre qu'elle ferait ses peut-être adieux à sa presque famille.
    Maxim l'avait certainement privée de ses émotions temporairement car le chagrin s'était déposé sur elle trop lourdement, il l'avait aussi fait à d'autres fins. D'abord, il n'aimait pas les émotions que l'on pouvait voir. La joie, la colère, la tristesse, ces émotions se déposaient sur Maxim de temps à autres mais il était incapable de se les approprier et d'en faire la démonstration, comme si un mur l'en séparait.
    Voir ou entendre un rire ne le dérangeait pas, bien qu'il enviait ce comportement, mais être le témoin de cris ou de larmes lui créait une sensation désagréable qui remontait le long de sa colonne vertébrale, comme un serpent d'épines qui s'enroulerait autour. Maxim voyait les émotions de tout le monde, même lorsqu'elles étaient cachées. Il n'avait pas besoin, en plus, que les gens en rajoutent en pleurant ou en geignant. Dire au revoir à Astrid serait bien moins pénible pour lui si celle-ci ne portait pas son voile de chagrin.
     En plus, Maude lui avait offert plus tôt le parfait alibi en lui demandant d'utiliser son pouvoir pour qu'Astrid puisse prendre la meilleure décision; à l'abri du tumulte qu'elle ressentirait à son réveil en découvrant l'ampleur de la tragédie à laquelle elle avait survécue.

Ils restèrent tous les trois dans les stries du soleil jusqu'à ce que les médecins viennent pour évaluer les constantes de la jeune fille, elle s'en sortait avec une simple commotion et quelques égratignures sur les jambes et les bras. Maude l'accompagna faire sa toilette, lui offrit des vêtements propres et la coiffa en nattant ses longs cheveux. Astrid réfléchissait. Bien que ses larmes et ses cris se soient échappés dans une valse, ses pensées et ses incertitudes composaient dans sa tête un ballet qui ne s'arrêtait jamais.
Elle voulait venger ses amis, mais si Arietis était responsable de cette attaque, elle devrait peut-être se battre contre sa famille. Elle avait attendu toute sa vie d'en apprendre plus sur ses parents, elle allait découvrir qui ils étaient dans l'heure qui suivait, pourtant elle ne ressentait rien lorsqu'elle y songea.

- Madame Maude Brumel, prononça la voix d'un homme en entrant dans la chambre. Je vous prie de bien vouloir me suivre et d'amener avec vous Mademoiselle Astrid Brumel.

- Je te rejoins à la maison, murmura la tutrice à Maxim, dit au revoir à ta sœur.

Les deux adolescents qui avaient grandi ensemble se firent des adieux froids. Maxim profitait de ce moment pour câliner pour la peut-être dernière fois Astrid. Celle qu'il avait tant admiré par sa facilité à utiliser la magie et qu'il avait parfois détesté par sa difficulté à garder ses émotions pour elle.
Lorsque la tutrice et sa protégée franchirent la porte pour se rendre au château d'Australis, il vit danser la robe de tristesse de Maude que lui seul pouvait apercevoir. Le chagrin du garçon s'était déposé sur sa tête comme un haut de forme, malheureusement sa capacité à se débarrasser des émotions ne fonctionnait que sur les autres.
     A défaut de pouvoir faire s'envoler son chapeau, il le prit dans ses mains, tendit les bras et tournoya avec ce dernier comme pour valser, avant qu'il ne disparaisse éventuellement. Les émotions se déposaient et s'en allaient toujours, mais ces cavalières particulières ne restaient jamais longtemps, et lorsque le bal se terminait, Maxim n'avait jamais eu le temps de vraiment faire leur connaissance. Tel était le fardeau de son pouvoir unique. Lorsqu'elles étaient les siennes il ne pouvait s'en séparer, mais il ne pouvait pas non plus se les approprier. Maude disait toujours que la danse créait un lien unique entre deux entités. Alors, à défaut de pouvoir les vivres, il avait choisi de danser avec ses émotions, en espérant un jour, mieux les connaître.

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Merci d'avoir lu ce chapitre !

C'est le moment de faire un petit jeu, je t'invite à te poser quelques questions concernant le pouvoir de Maxim (tu es libre de partager les réponses ou non) :

- De quelle couleur as-tu vu la robe de tristesse de Maude ?

- Aimerais-tu avoir son pouvoir, accompagné de sa contrepartie ?

- Si tu avais son pouvoir, t'en servirais-tu à bon escient ?

N'hésite pas à commenter, mettre une étoile sur le chapitre si il t'a plu et à t'abonner pour ne pas louper les prochains chapitres de La tisseuse d'Etoiles.

La tisseuse d'étoilesWhere stories live. Discover now