VIOLETTES

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Astrid se retourna dans son sommeil, elle senti alors sur son corps une couverture à la texture soyeuse que sa peau ne reconnaissait pas. Ses yeux s'entrouvrirent sur des vitraux somptueux qui laissaient passer la lumière du soleil. Les peintures sur le verre dessinaient sur le sol de majestueux motifs écailleux de toutes les couleurs. Lorsqu'elle réalisa qu'elle n'était pas chez elle, la magicienne se redressa et balaya la pièce du regard avant que la mémoire ne lui revienne.
Une femme qui se tenait dos au lit de l'immense chambre dans laquelle reposait Astrid se retourna et laissa s'échapper de sa gorge un bruit d'étonnement avant de s'approcher précipitamment.

- Mademoiselle, vous m'avez fait peur !
- Mais je n'ai rien fait.. lâcha la croisée confuse d'une voix éraillée.
- Oui, bien sûr, mais je ne m'attendais pas à vous voir assise alors qu'en arrivant ici vous dormiez profondément!
- Oú est Félix ? Demanda-t'elle. Je veux dire, Monsieur le connétable, j'aimerais le voir s'il vous plaît.
- Ne vous inquiétez pas, je vais prévenir Madame Mamushi de votre réveil, elle vous le fera monter. Tenez, buvez un peu d'eau, et ne vous relevez pas tout de suite! Je reviens vite.

Dans une précipitation camouflée maladroitement, cette femme qu'Astrid n'avait jamais vue sortit de la pièce dans un bruissement du tissu de sa robe en toile de jute. De l'autre côté, la jeune fille aperçut un garde en armure rouge posté devant la porte avant que celle-ci ne se referme.
Félix était le premier à qui elle avait penser. Alors que ses souvenirs des derniers jours reprenaient leur place dans son esprit, Astrid pouvait, en chacun d'eux, revoir le visage rassurant du connétable. Lorsque la poignée de la porte s'ouvrît à nouveau, son cœur fit un bon d'excitation à l'idée de le voir. Le sourire qui naissait sur son visage fut chassé à l'instant où Gaspard pénétra dans la chambre.
Un silence de plomb accompagna chacun de ses mouvements lorsqu'il referma la porte, marcha quelques pas jusqu'à la fenêtre et regarda au travers pour offrir son dos à Astrid. L'absence de bruit se prolongea jusqu'à ce qu'elle ne sorte de son mutisme, exaspérée de la présence du majordome.

- Oú est Félix ? Demanda-t'elle à nouveau en se retournant, refusant de discuter avec un dos.

- C'est moi qui suis chargé de votre protection.

Cette réponse irrita Astrid, il ne répondait en rien. Elle se fichait de qui était chargé de la protéger, elle voulait simplement le voir, lui. D'autant plus que le connétable avait promit à Maude de veiller sur sa fille, Astrid était convaincue qu'il ne s'agissait pas de paroles en l'air. Elle se contenta de souffler pour faire entendre son mécontentement, dans un miroir situé dans un coin de la pièce, elle observa les épaules de Gaspard se raidir. Cette vision fit s'étirer un léger sourire de satisfaction au coin de ses lèvres.

- Je ne vous aime pas non plus, lâcha le jeune homme.
- Nous voilà bien.
- Je n'aime pas ce ton satirique.
- Je n'aime pas la manière dont vous me regardez.
- Je n'ai aucunement envie de veiller sur vous pendant six mois.
- Et je n'ai aucunement envie de vous avoir dans les pattes ne serait-ce qu'une journée !
- Nous voilà bien. Termina le Balance, moqueur.

Dans le miroir, après un nouveau silence, le dos se gonfla et se relâcha dans un soupir puissant. Chaque muscle de Gaspard était épousé par sa chemise blanche parfaitement repassée. Aucun pli, aucun fil rebelle, aucune trace, ne serait-ce que de transpiration, ne se dessinait sur les vêtements de cet homme de main. Astrid ne put s'empêcher de le relever.

- Vous êtes aussi soigné qu'un Vierge.
- Je ne comprend pas ce que vous dites.
- Votre tenue ! Souligna Astrid après un claquement de sa langue contre ses dents.
- Qu'à-t'elle de si spéciale ? En effet, elle est propre, est-ce cela qui vous choque ?

La jeune femme souffla bruyamment, elle refusait de répondre au sarcasme que lui offrait Gaspard qui, après une nouvelle pause silencieuse se retourna enfin vers elle. Il ne la regarda pas pour autant, préférant dévisager ses mains qui tenaient son verre d'eau.

- Vous avez raison cependant, les tenues de ceux qui vivent au palais d'Australis sont confectionnées par Virginis. Le tissu de mes vêtements est donc d'une qualité que vous n'avez sûrement jamais connue.

Astrid eu envie de répondre à ce pique mais Gaspard ne lui en donna pas l'occasion. Peu importe, ce qu'il lui annonça lui fit oublier cet échange qui n'avait que confirmé son aversion pour son prétendu protecteur.

- Monsieur Faix est arrivé.

- Félix ! S'écria Astrid lorsque le connétable fit son entrée dans la chambre.

- Astrid !

Il déposa sur la table des fleurs violettes nouées par un ruban bleu, juste à côté d'un autre bouquet rouge et d'un autre bouquet jaune, tous les deux dans des vases. C'était donc cela que faisait la femme qui avait assisté au réveil d'Astrid. Elle changeait l'eau des fleurs que le connétable lui avait apportées pendant son sommeil. Le sourire de Félix contamina le visage d'Astrid qui respira pleinement pour la première fois depuis son réveil.

- C'est un gros dodo que tu nous as fait là !
- Comment ça ?
- Gaspard ne te l'a pas dit ?! Cela fait deux jours que tu dors !
- Deux jours ?

Les traits d'Astrid s'affaissèrent sous la surprise. Pourquoi ne l'avait-on pas réveillée? Elle comprenait mieux l'étonnement de la domestique lorsque celle-ci s'était retournée pour la retrouver pleinement éveillée.

- Nous allons te laisser faire ta toilette, tu as une salle d'eau juste à côté de ta chambre, c'est la porte juste après celle de Gaspard.

Un frisson créa du relief sur la peau d'Astrid, le majordome dormirait dans la pièce juste à côté et en plus, elle devait passer devant pour faire sa toilette. Hors de question donc de déambuler en serviette!

- Quand tu auras fini, préviens simplement un garde ou un domestique, il y en a partout et ils sont chargés de veiller à ce que tu sois accueillie de la meilleure des manières. Ils t'emmèneront au salon pour que tu déjeunes.
- La vie de princesse quoi, ironisa Astrid.
- De quoi te préparer pour ce qui t'attend à Arietis.

Bien que le ton de l'humour fut employé, la croisée savait qu'elle connaîtrait bientôt le luxe et les fioritures dont elle n'avait jamais vraiment rêvé. Pourtant, cette idée ne lui déplaisait pas le moins du monde, elle avait même hâte de découvrir le pays des Béliers et surtout, de rencontrer sa mère. Même si elle avait une mission à mener, elle était curieuse de voir ce qu'elle avait manqué pendant dix-huit en ne naissant pas sous la bonne constellation.

- Gaspard et moi reprenons notre entraînement, tu pourras nous rejoindre une fois rassasiée.
- Il s'entraîne aussi? Chuchota-t'elle.
- Évidemment ! Je veux être sûr qu'il puisse te défendre si c'est nécessaire !

Après des échanges de sourires avec Félix qui la débarrassa de son verre et une fusillade d'ignorance avec le Majordome, Astrid se retrouva seule dans la chambre. Elle se leva pour attraper le bouquet fraîchement cueilli par le connétable et laissa son corps plonger dans le fondant du matelas. Arrosée par la lumière transformée par les vitraux, elle plongea son nez dans les fleurs violettes à l'odeur réconfortante.
Elle pensa aux effluves de lys blancs que Maude transportait en permanence et qui avaient le don de la calmer. Si ici elle ne trouverait pas de Lys, elle trouverait ces fleurs qu'elle empoignait de ses deux mains et cela lui suffisait amplement pour être rassurée. Oui, pour le moment, Félix lui suffisait amplement.

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Rappel sur le lexique :

- Un/e croisé/e est une personne qui nait sous une constellation différente de celle de ses parents.

- Virginis est le Royaume de la Vierge.

- Australis est le Reinaume de la balance.

- Arietis est le Royaume du Bélier.

On se retrouve au chapitre 12 ! :)

La tisseuse d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant