20 - Leblanc : Les feuilles mortes

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Être dans le vent est une ambition de feuille mortes.

GUSTAVE THIBON 

DIMANCHE 20 JANVIER

04 : 03

CAMILLE LEBLANC

— Camille !

Je me retournai instantanément. La voix du docteur avait changé. Une excitation terrifiée.

— Je crois... que j'ai quelque chose...

Il s'assit, lentement, si lentement. Les yeux vides. Soudain, il s'alluma, et son visage se chargea de passion.

— La crête neurale ! Pourquoi j'y ai pas pensé avant !

— Ça m'aide pas beaucoup ça, Watson...

— La théorie de la néoténie. Tu connais ?

Je secouais la tête. Sa déception se fit à peine discrète.

— C'est une très ancienne théorie, les premiers à en parler c'était les philosophes grecques je crois... Tu connais l'axolotl ? Il est néoténique. Il reste juvénile et pourtant il peut se reproduire. C'est comme s'il atteignait jamais l'état adulte extérieur alors que ses fonctions reproductrices sont déjà là ! Il a gardé l'état juvénile de ses ancêtres, mais lui c'est son état adulte. C'est une hétérochromie... un changement dans le développement des individus. On observe ça aussi chez les animaux domestiques. Ils sont de plus en plus mignons, de plus en plus dociles et ressemblent de plus en plus aux juvéniles de leurs ancêtres. Certains pensent que c'est dû à la crête neurale. Une population de cellules qui apparait chez l'embryon et qui sert à façonner le crâne, les muscles... Ses cellules se différencient ensuite et construisent notre corps. La physionomie humaine résulte de la différenciation des cellules de la crête neurale...

— Stop ! Plus clairement.

— La théorie explore la possibilité que la néoténie soit due à une perturbation de la crête neurale, une sorte de... dysfonctionnement qui perturberait la croissance. Beaucoup suggèrent que l'humain est lui-même un animal néoténique. Il n'y a qu'à voir le crâne d'un jeune grand singe et celui d'un de nos adultes. On est les mêmes que leurs petits, comme si on n'avait jamais grandi.

— C'est quoi le rapport avec Iris ?

— Le rapport est évident, Camille ! L'Homme n'est pas une créature achevée, on est des formes juvéniles, notre cerveau est plus flexible, OK, mais notre force pue et on continue à jouer, à apprendre, à allaiter bien plus longtemps que d'autres animaux ! Comme les chiens, comme les axolotls, on est des larves, Camille ! Et j'ai la preuve la plus solide de l'histoire !

— C'est quoi ta preuve ?

— Cette fille, c'est pas une Alien ! Même pas une créature surnaturelle...

— Ah, parce que tu l'as pensé ?

—... c'est une humaine à l'état adulte !

Il s'attendait certainement à ce que sa révélation me pousse à lui décerner le prix Nobel. Malheureusement, je n'étais pas aussi touché que lui par les tissus de la science. Nous avancions, d'accord, mais ces idées ne m'aidaient pas à retrouver Iris ni à comprendre cette organisation.

Quoi que...

— On aurait donc affaire à un grand malade qui s'est mis en tête d'utiliser la particularité d'Iris pour rendre d'autres humains adultes ?

Il gigota sur sa chaise en tirant un papier vierge du bloc-notes. Ses mains tremblaient lorsqu'il se mit à dessiner tout en expliquant :

— Les cellules de la crête neurale sont particulières, elles migrent et se différencient, se transforment... Elles génèrent, entre autres, les cellules de cloisonnement du cœur. Nos cardiomyocytes qui mutent et migrent vers le torse sont donc des « enfants » de la crête neurale jusqu'alors inactivés ! Les mélanocytes qui pigmentent les iris sont aussi formés par la crête, ça expliquerait pourquoi notre gars a changé de couleur d'yeux ! Le type qui a pensé à ça est un génie... Un grand malade, mais un génie quand même...

— Reste à savoir qui c'est...

— J'ai la preuve que l'Homme est néoténique ! Je vais marquer l'histoire !

— Il faut absolument qu'on retrouve Iris...

— Oui ! Sinon, jamais ma théorie sera prouvée... 

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