2 - Leblanc : Vérité étrangère

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Il ne faut pas confondre la vérité

avec l'opinion de la majorité.

JEAN COCTEAU

VENDREDI 21 DÉCEMBRE

07:46

CAMILLE LEBLANC

Je tentai pour la énième fois de trouver une position agréable sur le siège de cette Renault grise. J'avais toujours haï ces modèles, trop étriqués, trop peu solides, et surtout pas assez molletonnés... Outre mes préoccupations automobiles, mon inconfort venait d'un tout autre problème.

Je débordais d'impatience d'effectuer ma première véritable intervention. Attendre devenait tout simplement insupportable. Mon supérieur, le commissaire Édron, refusait de m'apprendre la raison de notre surveillance rapprochée. Depuis plus d'une heure déjà, nous poireautions devant un restaurant japonais miteux le temps qu'une gamine en ressorte. Elle ne devait pas encore être majeure, bien que son regard et ses traits durs laissent paraître une triste maturité. Peut-on juger de la sagesse d'une personne par sa capacité à endurer l'anxiété ? Si oui, jamais je n'avais vu plus grande force d'âme que dans cet être-là. Que cachait-elle derrière ce visage émacié qui valait la peine de se faire suivre par les STUP ?

La fille quitta enfin le restaurant par la porte de service. Elle avait troqué son jogging surdimensionné pour un uniforme aux teintes patriotiques japonaises. Je lâchai un soupir d'exaspération qui fit sourire mon aîné.

— J'imagine que t'as besoin de savoir maintenant... déclara-t-il en arborant un air à la fois tendu et triomphant. Tu sais, la vraie qualité d'un enquêteur c'est de savoir agir au moment opportun. Trop tôt, et ton suspect t'emmène pas aux preuves, trop tard, et il file entre tes doigts !

Je laissai échapper un grognement d'approbation en étirant mes restes de sang-froid.

— Vois-tu, mon garçon, depuis quelques mois j'enquête sur un trafic de basse qualité pourtant très bien organisé...

Un frisson me parcourut l'échine. Impatience. Je vivais pour cette peur mêlée de plaisir.

Sophie. Il y a trop peu d'années, mon amie avait disparu à cause de cette sale merde.

Elle était jeune. Trop jeune pour mourir. Elle n'en avait pris qu'une seule fois, pendant cette foutue soirée où elle ne voulait même pas aller... Mais Sophie était asthmatique. La dose, qu'un connard avait mise dans son verre, lui avait été fatale. J'avais accompagné ses parents jusqu'aux urgences, ils n'étaient plus capables de conduire. Le temps que nous arrivions, les médecins avaient tenté de téléphoner quatre fois sur le portable de sa mère.

Le temps que nous arrivions, elle était morte.

D'abord, j'avais imaginé que si je l'avais retenue, rien n'aurait été pareil. Puis je m'étais rendu compte de la stupidité de ma pensée. Il y avait tant d'autres Sophie que personne ne retiendrait...

S'il n'y avait pas ces connards qui droguaient toutes ces Sophie pour leurs ignobles crimes sexuels...

Mais les connards proviennent d'une source jamais tarie. Il fallait leur arracher leurs outils, leurs armes. Alors les connards redeviendraient des cons, des cons qu'on croise, pas des cons qui tuent, pas des cons qui violent.

Évidemment, mon choix de métier me confrontait à mes blessures du passé. Mais la douleur qui me hantait ne faisait qu'accroître mon envie de coffrer les responsables. Coffrer tous ces connards avant qu'ils ne déracinent d'autres âmes innocentes. De cette blessure ouverte, j'en ferais une force.

ILLUSIONS RASSURANTESWhere stories live. Discover now