1 - Ruche : Ignorance paresseuse

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Le soleil de la paresse,

qui resplendit sans cesse,

vaporise et mange la moitié de génie.

CHARLES BAUDELAIRE

JOUR 63 SAISON DE L'EAU

ÈRE LISTIENNE

DERNIER QUART DU CRÉPUSCULE

ÉMALIQUE

Ma blessure s'était résorbée en surface mais mon tendon encore fragile nécessitait que je fasse fonctionner mes jambes. Marcher creusait un sillon dans l'herbe. À force de répéter mes cent pas sur la terrasse du bureau, je finirais par en éradiquer la pelouse.

Je levai les yeux vers le dôme m'empêchant de voir clairement le ciel. Chaque facette triangulaire déformait les nuages rosis par le couchant comme un miroir brisé. Je soupirai. Ici, tout défigurait le réel.

Mon promontoire offrait un panorama sur une partie du boulevard nord. De petits points s'activaient à le traverser, des êtres doués de vie qui trimaient pour la garder, des êtres doués de vie dont j'avais connu la plupart. Où en était l'insurrection ? À quoi pensait la Reine en continuant de créer son monde parfaitement dénué de sens ? Si j'aimais diriger, c'était pour remettre les gens dans le droit chemin, c'était pour les voir se mêler à la société en conservant leur individualité, leurs rêves, qui pouvaient faire avancer la communauté. Il ne pouvait être autrement que disperser son autorité en nouant des liens sensibles avec les dirigés. L'inverse me répugnait.

La Reine me répugnait.

Le Soleil illuminait gracieusement la ville que je considérais autrefois comme ma maison. Enfant, j'avais parcouru chaque ruelle en m'attendant y découvrir un trésor inespéré, j'avais couru sur ces toits verts et pataugé dans les canaux qui la traversaient. Où était partie cette âme légère ? Qui étais-je devenu ? Un monstre ? Un dictateur ? Un salaud ?

Pire que ça. Un suiveur.

Qui suis-je?

Le pantin de la Reine. Elle qui me menait du bout du doigt avec son sourire innocent alors qu'elle était la pire des stratèges.

Elle qui dirigeait ma vie.

Elle qui la détruisait aussi.

Ei Querçu, m'interpella un homme derrière moi.

Le garde posa respectueusement la main sur son Îven en fermant les yeux. Cet uniforme vert ne m'avait pas manqué, je préférais la petite vie tranquille que j'avais instaurée chez les humains. Ici fleurissaient responsabilités et comptes à rendre. Ici fleurissait l'obéissance.

Je savais ce qu'il allait dire. J'avais échoué à protéger Iris. Elle n'était plus qu'une poupée royale. Et je me haïssais. Il reprit la parole :

— L'Anomalie s'est réveillée. Elle a montré des signes d'agressivité. Elle a été maîtrisée. Les calmants font effet. Vous avez l'autorité nécessaire pour avoir la permission d'aller vérifier.

Surprise.

Espoir.

L'incroyable tissage du réel.

Des signes d'agressivité ? C'était loin d'être habituel après un tel protocole d'Opalescence. Ma bouche s'assécha. Se pouvait-il qu'Iris ait résisté ? Dans ce cas, elle devait à tout prix le cacher. Personne ne tient longtemps face à la Reine.

ILLUSIONS RASSURANTESWhere stories live. Discover now