Chapitre 16 - Souvenirs de l'Oiseau

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Giléanne était semblable aux souvenirs de Krélia, une grande ville luxueuse aux services couteux, animée de l'odeur iodée de l'océan tout proche ainsi que des cris des goélands criards qui tournoyaient au-dessus des toits mais, surtout, elle était emplie d'angoisses.
Elle n'oubliait pas le désagréable passage dans la résidence secondaire de la famille de Milinne et encore moins le violent trouble et désordre psychologique que cela avait engendré.
Il y avait également le fait que Eral De Livès avait certainement averti l'inquisition après sa fuite et avait aussi dû financer les recherches pour s'assurer qu'elles seraient efficaces. Il tenait à retrouver la créature qui avait volé l'apparence de sa fille chérie et ne lésinait pas sur les moyens pour ce faire.
Pour terminer, il y avait, en plus de ces faits, qui n'étaient pas à négliger, au contraire, la proximité avec sa cible qu'elle sentait dans son corps de banshee.
Welëom Shannuse, l'homme qu'elle devait tuer, la raison de sa création, était, par un hasard des plus douteux, le fiancé de la défunte et regrettée Milinne De Livès. Krélia se demandait d'ailleurs si l'identité de sa cible n'était pas en lien avec le choix de son corps par sa créatrice.
Quoi qu'il en était, Giléanne ne possédait pas un climat particulièrement attractive pour elle, au contraire. Elle encourait des risques sur tous les plans en revenant dans cette ville qui, avec Kiney, était le dernier endroit des Caëlinnes où elle aurait souhaité se trouver, mais Léttan avait raison.
Pour que sa fuite soit efficace, elle devait l'éloigner de sa créatrice autant que possible et quitter l'archipel en était le meilleur moyen or, ils avaient besoin de quelqu'un connaissant les pays alentours et Drämen Thésann était le seul étranger qu'ils connaissaient.
Il n'allait plus falloir que le convaincre, chose qui ne serait pas aisée, puisqu'il savait quelle était la véritable nature de Krélia et avait eu des mots avec Léttan. Cependant, c'était l'unique piste pour s'enfuir des Caëlinnes qu'ils possédaient actuellement et Krélia s'en contenterait car elle n'avait rien d'autre.
Elle ne se sentait donc guère à l'aise et une légère enveloppe d'angoisse la recouvrait alors qu'ils déambulaient entre les bâtiments de la cité en se dirigeant vers le port, puisque c'était l'endroit le plus probable où trouver Drämen, si il était toujours dans la ville, ce dont les chances étaient relativement faibles.
À côté d'elle, Léttan ne manifestait pas davantage d'optimisme ou de confiance. À l'inverse, il était même crispé.
Durant le voyage, ils avaient échangé encore moins de paroles et de regards que lors des trajets précédents.
Le jeune homme était moins motivé que la jeune fille à la perspective de quitter ses Caëlinnes natales.
Lorsqu'ils avaient évoqué cette idée après l'attaque de Rëmar, il ne pensait pas que Krélia l'entrainerait dans cet exil volontaire. Il pouvait toujours la laisser partir et retourner chez lui pour se remettre et peut-être également le temps de se faire engager sur un autre navire mais, comme lorsqu'ils en avaient débattu à Milemme, il était incapable de l'abandonner pour retrouver ce qui se rapprocherait le plus possible de son ancienne existence, lié et retenu par une étrange, inexplicable et incompréhensible dépendance envers Krélia.
Tous deux étaient épuisés et inquiétés par leur situation, se posant des questions, certaines semblables et d'autres totalement différentes, et craignant que leur unique moyen d'échapper à cette sorcière ne soit plus à quai depuis longtemps, bien que, encore une fois, Léttan aurait préféré ne pas avoir à quitter l'archipel.
Ils débouchèrent sur le port, toujours plongé et paralysé dans l'inertie que causaient les disparitions de navires. Il n'y en avait pas eu de plus récente après celle du bâtiment sur lequel se trouvait le fiancé de la pauvre Chiraine.
Les souvenirs les submergèrent lorsque leurs semelles claquèrent sur les larges pierres grises du quai principal.
C'était ici que Krélia avait embarqué sur l'Oiseau des vagues. À ce moment-là, ni elle ni Léttan ne se doutait de la tournure que prendraient les événements, lui encore moins qu'elle puisqu'il la prenait alors seulement pour une jeune fille fuyant sa famille pour de quelconque raisons. Il n'aurait jamais soupçonné se trouver emporté dans une pareille histoire et Krélia n'avait pas imaginé le drame qu'elle provoquerait dans son entourage direct.
Même en étant maîtresse de son esprit et sans pousser son terrible et mortel hurlement, elle semait la destruction sur son passage. Après tout, elle n'existait que pour cette unique raison, mais elle aurait vraiment désiré ne pas être esclave de sa nature.
Léttan avait le cœur qui se serrait et une culpabilité brûlante rongeait Krélia alors que toujours plus de souvenirs remontaient devant leurs regards assombris, alors qu'ils passaient là où, il y avait quelques mois seulement alors que de là où ils se trouvaient cela paraissait être des années, l'équipage de l'Oiseau des vagues haranguait les passants en espérant que quelqu'un se porterait volontaire et où Krélia avait répondu à cette proposition, bondissant sur l'occasion de s'enfuir de l'île royale et d'échapper à sa créatrice.
Une réponse différente de Wiesse et rien ne serait jamais produit.
Sauf que les derniers mois avaient bien été réels. Aujourd'hui, l'Oiseau des vagues n'était plus qu'un tas de planches verglacées ou gisant au fond de l'eau, Vanilesse était mort, Krélia avait un frère à ses trousses et était désespérément amoureuse de Léttan qui, lui, s'apprêtait à abandonner son pays natal en compagnie d'une créature créé par la sorcellerie. C'en était presque pathétique.
Peut-être que rien n'aurait changé même, avec des événements différents. L'histoire se aurait pu se produire ailleurs, avec d'autres personnes, elle resterait toujours un monstre.
Pendant qu'ils s'abîmaient respectivement dans leurs pensées sombres et hantés par cette histoire, leur histoire, ils se concentrèrent également sur les noms inscrits sur les coques de navires soigneusement alignés, les voiles ramenées et entretenus par quelques marins loyaux, en sommeil puisqu'il n'y avait plus suffisamment de personnes pour les manœuvrer.
Il n'y avait pas que ces bâtiments endormis qui témoignaient de la crise actuelle de la navigation. Des caisses da marchandises s'entassaient, espérant pouvoir atteindre leur destination, envahissant de plus en plus d'espace sur les quais.
Le contre-rendu de cette petite investigation à la recherche du Fleuret fut simple : il ne se trouvait plus à Giléanne. C'était à prévoir mais Krélia sentit tout de même le poids de la déception sur ses épaules.
Quant à Léttan, il était partagé entre le soulagement de pouvoir encore s'attarder chez lui et l'inquiétude de le faire. Il n'oubliait pas qu'un spectre les pourchassait, même blessé. Ce genre de créatures demeuraient certainement des dangers, quel que soit leur état et peut-être même encore davantage lorsqu'elles étaient blessées, comme des fauves.
Dépités, les deux compagnons de voyage s'éloignèrent des flots et, après s'être assuré que personne ne leur prêtait attention, restant sur ses gardes malgré les dernières digressions de son esprit, Krélia s'assit sur un empilement de caisses d'un petit bond souple, ne touchant plus terre avec sa petite taille.
Léttan s'appuya à côté d'elle, les bras croisés sur la poitrine.
Il déclara, même si elle le savait déjà parfaitement :

Le Cri du Spectre - Tome  2 : Naufrage [Terminé]Where stories live. Discover now